Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 151 - L'opposition parlementaire en droit constitutionnel - 9

PRÉFACE

IX

matériau qu'ils prétendent saisir pour le normer ou, plus exactement, l'encadrer
(il y a plus qu'une nuance à ce dernier terme). Celui-ci possède une existence
idéelle ou factuelle (selon les cas) antérieure à sa réception par des normes juridiques et le conservera après cette réception. Cette perspective fondamentale
semble avoir été un peu perdue de vue par ceux qui, par un dogmatisme un peu
trop appuyé, récusent ce que l'on peut bien appeler la dimension irréductiblement
politique du droit constitutionnel. Il suffirait pourtant, afin de se convaincre de
cette dimension, de (re)lire les fortes pages que Charles Eisenmann - personnalité
que l'on ne peut suspecter d'avoir été insuffisamment un rigoureux juriste -,
écrivait à ce propos2.
Tel est évidemment le cas de l'opposition politique, qui est à la fois une idée
et une réalité factuelle dont, précisément, l'importance politique et philosophique,
le caractère durable (car inhérent à l'existence d'assemblées politiques délibérantes dans un contexte réellement pluraliste), justifiaient qu'une réglementation
formelle lui fût consacrée.
Comme pour les groupes parlementaires ou les partis politiques, qui étaient
incontestablement des réalités politiques majeures dans les gouvernements représentatifs occidentaux bien avant d'être, tardivement, reconnus par le droit strict
(que ce soit en France ou en Allemagne, dans le premier cas, respectivement en
1910 et en 1922, par les règlements des chambres), il était légitime et utile que
l'opposition parlementaire soit juridiquement reconnue. Cela, pour améliorer la
qualité démocratique et pluraliste du système parlementaire, ce qui est d'autant
plus nécessaire que sa logique institutionnelle propre est une logique d'unité politique entre l'organe gouvernemental et une partie aux contours en principe stables
(la majorité) du Parlement. Autrement dit, un tel système nécessite plus qu'une
simple protection des minorités : qu'il soit officialisé que la critique des dépositaires du gouvernement est aussi importante que le gouvernement lui-même.
À cette question de principe s'ajoute, si possible, la possibilité de résoudre certaines difficultés pratiques quant à l'expression concrète et permanente de l'opposition que le jeu naturel de la vie parlementaire ne garantit pas toujours pleinement. Sous ce rapport, le droit formalisé peut conserver sa fonction de garantie
pour pallier, le cas échéant, le manque de sagesse des humains.
Toutefois, M. Fourmont ne cèle rien des difficultés et des limites de cette entreprise d'encadrement de l'opposition parlementaire par le droit formalisé, que ce
soit selon la méthode allemande (qu'il qualifie judicieusement de technique et indirecte) ou selon la méthode française (directe mais en partie symbolique). Même
encadrée ou appuyée par le droit, l'opposition parlementaire n'est pas de ces objets
qui se laissent entièrement déterminer par des règles formelles. Au-delà de la foule
de petits problèmes pratiques qui ne manquent pas de se poser à l'opposition dans
le jeu parlementaire quotidien (à commencer par la mauvaise grâce de la majorité
ou du gouvernement), le problème majeur est la quantité de configurations politiques susceptibles de survenir entre les organes gouvernementaux - avec en sus,
dans le cas français, la position effectivement originale de la présidence de la République - et les assemblées parlementaires - le bicamérisme compliquant encore la
donne -, entre les forces politiques et les organes constitutionnels : le système
2. « Sur l'objet et la méthode des sciences politiques » (1950), in C. Eisenmann, Écrits de théorie
du droit, de droit constitutionnel et d'idées politiques, Éd. Panthéon-Assas, 2002, p. 237-287 (qui utilise
même le syntagme « droit politique », p. 250).
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