Bibliothèque de droit public - Tome 312 - Le juge administratif et la loi (1789-1889) - 345

LES TRIBUNAUX D'ADMINISTRATION OU L'IMPOSSIBLE SYLLOGISME

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l'Assemblée sur les dangers de la diversité des compétences »61. Ce dernier procédé,
de bonne guerre politique, relève pourtant du pur sophisme. S'il est vrai que personne dans l'Assemblée ne souhaite livrer le justiciable à la quête hasardeuse du
juge compétent, sa majorité est loin d'en conclure qu'il faille nécessairement refuser
toute juridiction d'exception. Les débats postérieurs prouvent ainsi que le succès du
discours de Chabroud, « interrompu souvent par de grands applaudissements »62 et
dont l'impression a été « décrétée à l'unanimité »63, fut d'une portée circonscrite.
836. C'est ainsi que le 27 mai 1790, « d'après la série de questions décrétées
le 31 mars, le point soumis à la discussion est le suivant : "les tribunaux ordinaires
seront-ils rendus compétents pour toutes sortes de matières ou établira-t-on
quelques tribunaux d'exception ?" »64 Le tribunal d'administration est le premier
sur la sellette. Après un bref débat, la question est ajournée. Il semble, en effet,
que l'opinion selon laquelle il convenait d'abord d'« avoir arrêté l'organisation de
l'impôt »65 ait prévalu66. Notons que Chabroud intervient incidemment en déclarant que « si les matières d'impôts demandaient à être jugées séparément, il serait
facile d'établir dans chaque tribunal, une chambre consacrée à cette matière »67.
Cette dernière remarque doit être relevée car elle montre que ce député, pourtant
à l'avant-garde de l'assaut contre les juridictions d'exception, n'exclut pas la
reconnaissance de contentieux particuliers. Mais dans cette hypothèse, il n'admet
guère que la création de chambres spécialisées.
837. Une solution semblable avait été proposée en matière commerciale. En
effet, après que la question du tribunal administratif a été ajournée, le débat s'engage sur la question suivante : « y aura-t-il des tribunaux particuliers pour le jugement des matières de commerce ? »68 Ce débat est d'un grand intérêt car les arguments en présence rappellent ceux employés pour défendre le contentieux administratif, particulièrement au XIXe siècle. En outre, il démontre l'échec de la thèse
de l'unité de juridiction défendue avec panache par Chabroud.
838. Sur les neuf députés discutant cette question, cinq y sont favorables. Leurs
plaidoyers sont largement comparables69. Ainsi, le contentieux commercial exige des
formes et des lois particulières. Dans l'intérêt même du commerce, il doit être expédié
rapidement et sans frais. Or le formalisme judiciaire, par sa rigidité, entraverait son
développement. De plus, des connaissances particulières sont nécessaires. Seuls les
commerçants les détiennent. Ces derniers font, en outre, preuve d'un désintéressement remarquable en quittant leurs propres affaires pour juger celles de leurs pairs.
Élus par ces derniers et pour un temps limité, il n'y a pas à craindre qu'ils essaient
jamais d'excéder leurs pouvoirs. D'ailleurs, de toutes les juridictions d'Ancien Régime,
celle-ci seule n'a jamais causé de doléances. Preuve en est que les « députés extraordinaires des manufactures et du commerce de France et des représentants du commerce
de Paris »70 ont pétitionné pour demander leur maintien.
61. Ibid., p. 451, note de bas de page 1, colonne de gauche.
62. Ibid., p. 455.
63. Idem.
64. « Séance du 27 mai 1790 », AP, 1re sér., t. 15, p. 684.
65. Idem.
66. Nous y reviendrons incessamment.
67. « Séance du 27 mai 1790 », AP, 1re sér., t. 15, p. 684.
68. Idem.
69. Pour l'ensemble de ce débat, ibid., p. 684-688.
70. Ibid., p. 688.

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