Bibliothèque de droit public - Tome 315 - Le principe d'impartialité de l'Administration - 26

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LE PRINCIPE D'IMPARTIALITÉ DE L'ADMINISTRATION

de tel que de suspendre son jugement jusqu'à ce qu'on ait examiné les choses avec
la dernière exactitude ; (...) il n'y a point de source d'erreurs plus féconde que la
précipitation de juger »35. On entrevoit aussi que l'impartialité est une exigence
purement formelle : exclure certaines considérations du processus de décision n'indique pas, en substance, ce que le résultat de cette décision devrait être ; toutefois, la
substance de la décision peut être atteinte, dans le cas contraire, celui où les considérations illégitimes n'ont pas été exclues.
11.  Pour autant, si l'impartialité semble désirable, dans la pensée de nombre
de philosophes, elle n'en fait pas moins l'objet d'une remise en question, parfois
virulente, de la part d'autres penseurs. Condorcet considérait par exemple que l'impartialité est un « mot vide de sens dans toutes les discussions trop importantes,
pour laisser l'âme dans une parfaite indifférence »36, tout en se demandant si
« jamais  ce mot peut convenir à des hommes »37. Chateaubriand est encore plus
critique, lorsqu'il considère que l'impartialité peut être « criminelle »38, dès lors qu'il
est question de certains problèmes ; il la qualifie encore d'« épouvantable »39. Benjamin Constant n'est pas moins sceptique quant à l'impartialité, lorsqu'il affirme
que « la justice est un devoir dans les gouvernants, l'impartialité serait une folie et
un crime », car « pour faire marcher une institution, il faut qu'un homme soit partial pour l'institution »40. Ce constat n'est pas sans rappeler le paradoxe établi par
Bentham, qui illustre de nouveau la relativité de la notion : « c'est le devoir du juge
que d'être impartial ; par conséquent, il est de son devoir d'être partial »41.
12.  Par ailleurs, au sein même des théories philosophiques attachées à l'impartialité42, une divergence se fait jour quant aux « considérations » qui devraient
entrer en ligne de compte, lorsqu'il est question de former un jugement moral.
Dans l'Euthyphron, Socrate s'étonne de ce que son interlocuteur poursuit son
père pour meurtre et, par son ironie caractéristique, demande à l'accusateur :
35. P. Bayle, « Lettre à Joseph Bayle du 3  novembre 1678 », in E. Labrousse et al.,
Correspondance de P. Bayle, t. iii, Oxford, Fondation Voltaire, 2004, lettre n° 159.
36. Mis de Condorcet, « Avertissement », in Réflexions sur les affaires publiques par une société
de citoyens, brochure, 1789, p. 1. Toutefois, dès lors qu'il est question de la fonction juridictionnelle,
Condorcet considérait que l'impartialité constitue « le caractère distinctif et sacré » des jurys (Idem,
« Exposition des principes et des motifs du plan de Constitution », in Œuvres de Condorcet, t.  xii,
Paris, Firmin Didot, 1847, p. 335, spéc. p. 381).
37. Idem, « Discours à l'Académie française », in Œuvres de Condorcet, t. i, op. cit., p. 430.
38. Chateaubriand, « Discours du 22 août 1815 à l'ouverture du collège électoral », in Œuvres
de Chateaubriand, t. xiv, Paris, Dufour, 1854, p. 6.
39. Idem, « Discours du 22 févr. 1816 », ibid., p. 32. La matière en question est, dans les deux
occurrences, l'attitude souhaitable face aux agissements des responsables publics au moment de la
Révolution. L'attitude impartiale entre « un royaliste et un jacobin » est alors une « monstruosité
morale » (idem, « Polémique », in ibid., t. xv, p. 277).
40. B. Constant, De la force du gouvernement actuel de la France et de la nécessité de s'y rallier,
brochure, 1796, p. 28. Constant déclarait encore que « pour faire marcher la liberté, il faut être partial
pour la liberté » (Idem, Discours prononcé au cercle constitutionnel pour la plantation de l'arbre de la
liberté, 30 fructidor an v, Paris, Lemaire, 1797, p. 11).
41. J. Bentham, « Rationale of Judicial Evidence », in The Works of Jeremy Bentham, t.  vi,
Edinburgh, William Tait, 1843, p. 350 (« It is the duty of the judge to be impartial ; -  therefore it is
his duty to be partial »). On peut alors parler d'une « partialité admirable », celle qui se réfère à un
choix fait en fonction de critères jugés comme légitimes (T. Jollimore, « Impartiality », Stanford
Encyclopedia of Philosophy, 2014  - disponible en ligne : plato.stanford.edu).
42. Notamment les théories utilitaristes, à la suite de la construction intellectuelle du « spectateur
impartial » d'Adam Smith (v.  notamment A. Smith, Théorie des sentiments moraux, L.iii, sect.  1,
ch. 2) ; mais également l'universalisme kantien. Pour une appréciation de l'influence de la première sur
les conceptions kantiennes, v. A. Sen, L'idée de la justice, op. cit., p. 163 et s.

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