Bibliothèque de droit privé - Tome 599 - Les théories objective et subjective du contrat - 132

116

LES THÉORIES OBJECTIVE ET SUBJECTIVE DU CONTRAT

comprendre en quoi nous ne pouvions connaître que ce qui est manifesté, tout en
sachant que la manifestation n'emporte pas toute la volonté de la personne qui
s'exprime. Cette nouvelle perspective sur la volonté, aussi basique soit-elle, nous a
alors mené à saisir en quoi les droits positifs américain et français étaient justifiés
à poser le principe selon lequel un contrat est conclu lorsque la personne a pu légitimement croire que l'autre personne souhaitait s'engager, c'est-à-dire lorsque les
volontés se sont apparemment rencontrées. Mais cela ne veut pas dire pour autant
que toute apparence de rencontre des volontés suffit. En effet, dans le cas où il est
parfaitement légitime pour l'une ou l'autre des parties de donner une signification
différente à une manifestation de volonté, il n'y a pas contrat - l'affaire Raffles
v. Wichelhaus en étant l'exemple archétypal, les deux parties ayant pu donner un
sens différent au mot « Peerless ». C'est ce qu'on retrouve dans la règle du misunderstanding en droit américain et, de notre point de vue, la lecture croisée des
articles 1118 et 1188 du Code civil devrait mener le juge français à interpréter le
droit français dans le même sens. Plus précisément, le juge français a tous les outils
nécessaires pour interpréter le droit au vu d'une conception renouvelée de l'erreurobstacle selon laquelle il n'y a pas contrat lorsque l'une des parties pouvait légitimement donner une autre signification à sa propre manifestation de volonté ou à
celle de l'autre partie - ces cas étant particulièrement rares.
D'un point de vue méthodologique, notre raisonnement a suivi plusieurs
étapes. Nous sommes parti de la mise en lumière des théories doctrinales censées
expliquer et justifier les droits positifs (théories objective et subjective du consentement), avant de montrer que les droits positifs ne s'y conformaient pas. Nous
avons ensuite établi une nouvelle théorie, qualifiée de théorie de l'accord apparent
des volontés, censée expliquer en quoi une théorie du consentement ne peut être
purement objective, ni purement subjective. Cela nous a permis d'expliquer la
règle relative au misunderstanding en droit américain, ainsi que proposer de renouveler le concept d'erreur-obstacle pour aller dans le même sens en droit français.
L'objet de cette section est de vérifier l'hypothèse que nous avons présentée
dans cette partie. Jusqu'alors, nous pensons que notre théorie de l'accord apparent
des volontés permet d'expliquer au mieux l'accord des volontés. Nous en avons
donné une justification théorique avec l'épochè contractuelle. Il s'agit maintenant
d'opérer une vérification pratique. Car le droit ressemble bien plus à une recherche
physique mathématisée dont il faut s'efforcer de contrôler les avancées dans la réalité matérielle qu'à une démonstration mathématique pure, qui ne peut être infirmée que dans le monde des idées. Puisque nous avons établi que l'on pouvait mieux
rendre compte de l'accord des volontés des droits français et américain par une
même théorie, nous devrions, en toute logique, trouver des règles contractuelles
communes quant à l'accord des volontés. C'est ce que nous chercherons à établir
en nous intéressant aux règles relatives à l'offre et à l'acceptation. En d'autres
termes, si, comme nous le pensons, il n'existe qu'une seule et unique théorie soustendant les règles relatives au consentement dans les droits américain et français,
les règles relatives à l'accord contractuel devraient être les mêmes. En revanche, s'il
existe deux théories, il est tout à fait envisageable, et même très probable bien que
non nécessaire, que les règles divergent. Insistons sur le fait qu'il est envisageable
que l'on retrouve des règles contractuelles similaires de droit positif alors même
qu'elles ne sont pas sous-tendues par une même théorie. Les similarités seraient
alors contingentes. Nous ne pensons pas que ce soit le cas ici mais cela nous oblige

978-2-275-07309-5__DOCFILE__07309_gaiardo.indd 116

22/04/2020 16:44:42
Bibliothèque de droit privé - Tome 599 - Les théories objective et subjective du contrat

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit privé - Tome 599 - Les théories objective et subjective du contrat
