Bibliothèque de droit privé - Tome 599 - Les théories objective et subjective du contrat - 343

Chapitre II

LE MOUVEMENT D'OBJECTIVATION
DU DROIT FRANÇAIS

527. - Dans le rapport remis au président de la République relatif à l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général
et de la preuve des obligations, il est précisé qu'un des objectifs de la réforme est
la justice contractuelle1.
Mais quelle est-elle ? La justice contractuelle est-elle véritablement unique ?
Nous avons dit que la théorie objective du contrat nous semble avoir un fondement utilitariste tandis que la théorie subjective du contrat serait déontologique.
Peut-on facilement choisir entre Bentham et Kant ? Dispose-t-on de critères universels et nécessaires, accessibles communément, qui nous permettent d'affirmer
que la justice contractuelle devrait être utilitariste ou déontologique ? Et, même si
c'était le cas, le rôle du juriste est-il d'essayer de contraindre la communauté politique en imposant la vérité par le haut ? Toutes ces questions sont d'une complexité immense et il ne s'agit pas d'essayer d'y répondre ici.
En réalité, la notion de « justice contractuelle » semble être invoquée comme
un outil quasiment magique permettant de ne pas discuter la transformation fondamentale que l'ordonnance du 10 février 2016 a opérée. N'étant pas clairement
assumée, elle nous laisse penser que la réforme n'apporterait que quelques éléments visant à rendre plus juste le droit des contrats d'avant la réforme. Il y aurait
donc à la fois continuité et amélioration du droit de 1804 - en tout cas tel qu'il
était interprété par la Cour de cassation au début de notre siècle.
528. - L'objet de ce titre est d'essayer de montrer que cette présentation est
probablement en trompe l'œil. L'ordonnance du 10 février 2016 n'a pas apporté
qu'une amélioration dans la continuité mais semble également avoir introduit des
éléments objectifs dans le droit français. C'est que la théorie subjective du contrat
est en train de perdre de plus en plus de terrain. Les rédacteurs du rapport remis
au président de la République auraient donc parfaitement raison d'affirmer que
la réforme permet plus de justice contractuelle, en ce sens qu'elle assure que la
justice contractuelle de la théorie objective du contrat sera garantie. Ce n'est donc
pas que le droit français est plus juste mais bien plutôt qu'il est différemment juste.
1. Philippe STOFFEL-MUNCK, « Les enjeux majeurs de la réforme "Attractivité, Sécurité,
Justice" » dans STOFFEL-MUNCK, Philippe, dir. Réforme du droit des contrats et pratique des
affaires, Paris, France, Dalloz, 2015, p. 22. Le professeur Stoffel-Munck considère que la philosophie
volontariste de la justice serait maintenue, mais que l'on assisterait malgré tout au développement de
la justice administrée.

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