Bibliothèque de droit privé - Tome 600 - L'usufruit atypique - 67

L'extension du domaine de l'usufruit

Or, l'auteur d'une œuvre ne semble pouvoir exercer ni l'une ni l'autre de ces prérogatives. S'agissant du droit de détruire la chose, il ne peut guère s'exercer que sur le
support de l'œuvre, le droit moral résistant à toute altération186. De même, le droit
de disposer juridiquement de la chose paraît limité aux prérogatives patrimoniales
que le droit d'auteur confère, le droit moral restant indéfectiblement lié à l'auteur.
Eu égard aux droits de propriété industrielle, ce ne sont plus les attributs de
la propriété qui sont remis en cause, mais ses caractères. Notamment, le caractère
exclusif de la propriété semble difficilement compatible avec l'obligation d'exploiter imposée au titulaire d'un brevet (CPI., art. L. 613-11). Celle-ci contraint en
effet la personne à concéder des licences sur son invention, ce qui constitue une
immixtion dans une jouissance supposée être exclusive.
77. Des différences à relativiser - Ces différences de fonctionnement pourraient laisser penser qu'une propriété véritable ne peut s'exercer sur les choses
incorporelles. Certains auteurs l'ont soutenu et, plutôt que de qualifier ces biens
de propriétés incorporelles, leur préfèrent la qualification de « monopoles »,
« droits intellectuels » ou « droits de clientèles »187. Il est néanmoins possible de
relativiser ces particularismes et de montrer qu'ils peuvent être conciliés avec la
notion classique de propriété.
La propriété des choses corporelles connaît elle-même des limitations,
puisqu'elle doit toujours s'exercer dans le respect des lois et règlements (C. civ.,
art. 544). Malgré son caractère absolu, la propriété doit parfois s'effacer devant
des intérêts supérieurs. L'impératif de protection de la famille, et notamment des
enfants, permet ainsi au juge de contraindre une personne à louer un de ses biens
propres à son ex-conjoint, lorsque le bien en cause constitue le logement de la
famille (C. civ., art. 285-1). Une telle règle contrevient indéniablement aux droits
du propriétaire, qui n'exerce plus ses prérogatives librement sur le bien. Pourtant,
personne n'aurait l'idée de nier que le propriétaire d'un tel immeuble ne dispose
pas d'une véritable propriété. Pourquoi dès lors n'en irait-il pas de même en
matière de propriété intellectuelle ? Certes, l'auteur voit son abusus limité par
l'inaliénabilité du droit moral (CPI., art. L 121-1). Mais cette limitation peut être
justifiée par la volonté d'empêcher l'auteur de renoncer à ce qu'on a coutume de
considérer comme le prolongement de sa personne188.
Quant aux licences forcées de brevets non exploités, il paraît évident qu'elles
répondent également à des besoins d'intérêt général, notamment lorsqu'elles
portent sur des produits pharmaceutiques189. Une règle similaire existe d'ailleurs
en droit de la propriété immobilière, qui admet la cession forcée d'un bien pour
cause d'utilité publique (C. civ., art. 545). Dès lors, pas plus que l'expropriation ne
186. N. KILGUS, Ibid. Monsieur Kilgus prend l'exemple de l'affaire Camoin (CA Paris, 6 mars
1931, D.P. 1931, 2, 88, note M. Nast) dans laquelle le peintre non satisfait de ses toiles les avait
déchiquetées et abandonnées dans une poubelle. Le tiers qui les avait réassemblées et revendues fut
alors condamné : il était certes devenu propriétaire du corpus de l'œuvre, mais ne privait pas le peintre
du droit moral qu'il garde toujours sur son œuvre.
187. F. ZÉNATI-CASTAING et Th. REVET, Les biens, op. cit., n° 66, p. 114.
188. On peut citer ici la célèbre phrase de Flaubert, jamais écrite, mais souvent citée : « Madame
Bovary, c'est moi ».
189. À cet égard, Monsieur Kilgus relève qu'« il n'est guère choquant que le législateur
intervienne, par exemple pour éviter qu'un laboratoire pharmaceutique ne refuse de commercialiser
un produit thérapeutique ou bien profite de son brevet pour créer artificiellement une situation de
pénurie », (N. KILGUS, L'usufruit des biens incorporels, thèse préc., n° 74, p. 98, n° 523).

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