Bibliothèque de droit privé - Tome 603 - La notion de contrat - 62

36

LA NOTION DE CONTRAT

A. LE CONTRAT, CACHÉ PARMI LES « DIFFÉRENTES MANIÈRES
DONT ON ACQUIERT LA PROPRIÉTÉ »
35.  Le Code civil de 1804 est bâti sur une structure qui repose sur une réglementation des personnes (Livre  I), des choses (Livre  II  : « les biens ») puis, de
manière plus obscure, des « différentes manières dont on acquiert la propriété »
(Livre III). « Profit[ant] de l'expérience du passé, et de cette tradition de bon sens,
de règles et de maximes, qui est parvenue jusqu'à nous, et qui forme l'esprit des
siècles »4, cette structure du Code fait surtout écho au contexte dans lequel il a été
rédigé. « Si le Code a une telle valeur », disait Ripert, « c'est plus encore par ce
qu'il a recueilli que par ce qu'il a créé »5. Comme le souligne Adhémar Esmein,
« le premier Empire revendiqua [le Code civil] comme une de ses gloires et peu
s'en fallut que la légende le fît sortit tout entier du génie de Napoléon, comme
Minerve du cerveau de Jupiter. Cependant, lorsqu'on analyse la substance de
cette grande œuvre, lorsqu'on suit l'histoire de sa rédaction, l'illusion se dissipe.
Presque tout ce qu'il contient a été fourni par le droit du passé -  l'ancien droit
français - ou par le droit de la veille  - celui de la Révolution »6. Le Code civil ne
devait-il pas être, dans l'esprit de Bonaparte, une « masse de granit »7 destinée à
permettre la reconstruction de la société ? Il sera d'ailleurs reconnu comme un
« lieu de mémoire »8 des Français. Filant la métaphore architecturale jusqu'au
bout, on a pu présenter le Code civil comme reposant sur plusieurs « piliers »9.
Premier pilier, la famille qui, en 1804, se devait d'être très hiérarchisée, très structurée, afin de redonner cohésion à la société post-révolutionnaire, après que la
Révolution eut « renvers[é] l' « autorité maritale »10. À côté de ce premier pilier,
vient la propriété. Du droit prétorien au droit post-révolutionnaire, c'est elle qui
a eu la primauté, comme l'illustrent les propos de Treilhard devant le Corps législatif : « La propriété ! Base fondamentale, et l'un des plus puissants mobiles de la
société. Qui pourrait, en effet, aspirer à la qualité d'époux, désirer celle de père, si,
en prolongeant notre existence au-delà du trépas, nous ne transmettions pas avec
elle les douceurs qui l'ont embellie ou du moins consolée ? »11. Le contrat n'apparaissait donc, en 1804, que comme le « dernier pilier » de l'ordre civil12. Dans une
4. J.-E.-M.  Portalis, Discours, rapports et travaux inédits sur le Code civil, op.  cit., p.  4. Cette
structure est en effet le fruit d'une longue tradition historique plongeant ses racines dans l'Antiquité.
La structure du Code civil s'inspire d'abord du droit romain, et plus particulièrement des Institutes,
qui distinguait personnes, choses et actions. Ce système tripartite reçut les faveurs de la doctrine
française des XVIIe et XVIIIe siècles ; elle est notamment reprise par Pothier (non seulement dans son
Introduction à la coutume d'Orléans, mais également dans le dernier livre de ses Pandectae), qui l'a
transmise à la postérité.
5. G.  Ripert, Les forces créatrices du droit, op. cit., n° 8, p. 23.
6. « Les rédacteurs du Code, les bons ouvriers de cette formidable tâche, ne prétendaient
aucunement à être des créateurs  ; c'étaient des disciples et non des prophètes », poursuit l'auteur
(A. Esmein, « L'originalité du Code civil », in Livre du centenaire, A. Rousseau, 1904, p. 5). Adde :
A.-J. Arnaud, Les origines doctrinales du Code civil français, préf. M. Villey, LGDJ, 1969.
7. Napoléon Bonaparte, Discussion relative au projet de loi sur la Légion d'honneur, au Conseil
d'État, 8 mai 1802 (18 floréal an X).
8. J. Carbonnier, « Le Code civil », in P. Nora (dir.), Les lieux de mémoire, op. cit., p. 293 et s.
9.  J.  Carbonnier, Flexible droit, op. cit., p. 255.
10. J.-E.-M.  Portalis, Discours, rapports et travaux inédits sur le Code civil, op. cit., p 3.
11. P.-A.  Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t.  XI, Videcoq, 1836,
pp. 32-33.
12. G. Chantepie et N. Dissaux, « Rapport introductif », in dossier « Le nouveau discours
contractuel », RDC 2016/3, p. 572 et s. Comme le rappellent ces auteurs, « l'un des premiers à avoir
érigé « le droit contractuel » en fait social digne d'être considéré pour lui-même, c'est Durkheim,

978-2-275-07314-9__DOCFILE__978-2-275-07314-9_couv.indd 36

25/05/2020 12:12:45
Bibliothèque de droit privé - Tome 603 - La notion de contrat

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit privé - Tome 603 - La notion de contrat
