Bibliothèque de droit privé - Tome 603 - La notion de contrat - 97

Contrat et faits juridiques

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l-égislateur. Ainsi, selon Kelsen, contrat et loi posent tous deux des normes : « la
convention a créé une norme qui n'existait pas avant la conclusion de la convention [...]. C'est cette norme qui est l'effet juridique de la convention »158. Et c'est en
ce sens que la norme contractuelle, comme toute norme, a un caractère obligatoire.
Toutefois, loin d'assimiler le contrat à la loi, Kelsen le place en deçà de la loi dans
sa pyramide des normes, et prend soin de souligner les différences qui opposent ces
deux types de normes. En effet, la loi et le contrat sont hétérogènes comme peuvent
l'être l'État et l'individu. Le contrat crée certes une norme qui s'insère dans l'ordre
juridique, mais cette norme est particulière, elle n'a pas de portée générale, elle ne
concerne que les parties. L'article 1134, alinéa 1er, ancien (1103 nouveau) du Code
civil ne procède qu'à un « rapprochement, une comparaison »159. Norme contractuelle et norme légale, parce qu'elles n'ont pas la même source, n'ont ni la même
portée, ni le même contenu (a). Surtout, elles ne sont pas de même nature (b).
a)	 Une différence de portée et de contenu
97.  En premier lieu, à la « relativité » du contrat160 s'oppose la généralité de la
loi au sens large. Comme l'explique Kelsen, « la norme créée par la convention de
droit privé a un caractère de singularité, elle n'oblige qu'un seul individu à un seul
acte, n'impose qu'une prestation unique ». Autrement dit, « la situation contractuelle étant une situation spécialement aménagée par les contractants pour euxmêmes et en quelque sorte sur mesure, elle est en principe une situation individuelle
sans portée générale »161. Une telle réflexion n'est d'ailleurs pas propre aux normativistes : la philosophie volontariste du contrat est tout aussi apte à l'expliquer. Les
contractants, en effet, « ne sont pas ici sujets d'une règle extérieure : ils s'assujettissent eux-mêmes à une norme qu'ils ont créée volontairement et pour une situation qu'ils ont également suscitée, qui est l'expression de leur autonomie. La loi
contractuelle étant ainsi l'expression de l'autonomie des contractants, il est normal
que cette autonomie domine les solutions en ce qui la concerne »162. La loi, au
contraire, « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse »,
comme le rappelle l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
au frontispice de notre Constitution. Il est en effet couramment enseigné dans nos
universités, dès la première année, que la règle de droit est rédigée en termes
de l'identité entre la loi et le contrat, avec cette différence cependant que jadis on identifiait la loi avec
le contrat [...] tandis qu'à présent, par contre, on affirme que le contrat s'incorpore dans l'ordre
juridique et s'identifie avec la loi et le droit est considéré uniquement comme un droit objectif ».
158. 
H. 
Kelsen, « 
La théorie juridique de la convention 
», art.  préc., §  1, p.  35.
Rappr. H. L. A. Hart, The concept of law, 3rd ed., Oxford University Press, Clarendon Law Series,
2012, p.  96, qui considère également la liberté contractuelle comme un pouvoir dérivé de la loi. Il
décrit la théorie de la Rule of change comme l'aptitude conférée à des individus de modifier leur
situation initiale sous l'empire de "primary rules" grâce à l'exercice des pouvoirs « législatifs »
-  comprendre « normatifs »  - limités qui leur sont ainsi dévolus. Et Hart de citer l'exemple de la
constitution d'un testament, la conclusion de contrats et le transfert de propriété.
159. G. Marty, « Rôle du juge dans l'interprétation des contrats », in Études sur le rôle du juge,
TAHC 1949, t. V, Dalloz, 1950, p. 84 et s., spéc. p. 87.
160. 
Mais dans ce contexte, il ne convient pas d'entendre l'expression « relativité des
conventions » par opposition à son pendant qu'est l' « opposabilité » de celles-ci. Ce qui importe, c'est
que le contrat, dans son ensemble, et non pas seulement eu égard aux obligations qu'il crée, ne
concerne qu'un cercle restreint de personnes  : les parties contractantes. Il faut donc dénoncer la
dualité du contrat comme acte et comme fait juridique  : s'il instaure bien une situation juridique,
celle-ci n'est pas pour autant invocable à tout va par quiconque (v. infra, n° 137 et s.).
161. G. Marty, « Rôle du juge dans l'interprétation des contrats », art. préc., p. 87.
162. Ibid.

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