Clefs - Une société de communication ? - 6e - 25

Généalogie du discours communicationnel

La thèse de J. Habermas sur L'espace public (1960, trad. fr. 1976)
constitue l'une des expressions les plus systématiques et les plus
conséquentes de ces problématiques. Habermas y montre comment
à travers le statut de la publicité - au sens juridique du terme - et la
place dévolue à l'opinion publique, l'État constitutionnel qui émerge
des révolutions anglaise et française fonde un ordre politique structuré sur un rapport de communication. À la parole d'un pouvoir
absolutiste qui se revendique d'un ordre naturel ou divin succède
le pouvoir de la parole, de l'opinion publique à travers la presse,
les débats, le processus électoral. L'analyse d'Habermas est aussi
un parcours nostalgique, qui décrit la dégénérescence de l'espace
public au xxe siècle par l'action conjuguée d'une culture de masse
devenue objet de consommation sans charge critique, d'une vie politique saisie par la logique des relations publiques et des stratégies
d'image, et d'un déclin des fonctions critiques des médias. L'ouvrage
n'est pas sans souffrir d'une double simplification. Il décrit avec une
nostalgie parfois naïve l'« espace public bourgeois » d'antan, peuplé
de citoyens rationnels et politisés, plus conformes aux idéaux des
Lumières qu'aux agents sociaux que peut étudier l'historien. Il est
parfois proche d'un discours d'apocalypse pour décrire une corruption
moderne de l'espace public, d'autant plus saisissante qu'elle ressort
d'un regard critique sur les consommations culturelles et le rapport
au politique des couches populaires... que l'auteur n'avait guère pris
en compte dans sa peinture de l'âge d'or. Hier s'analysait à l'aune
des lecteurs de Kant, Hugo ou Dickens, le présent devrait se penser
en suivant les fans d'Hanouna ou les lecteurs de Gala. Stimulante et
contestable, l'analyse d'Habermas retient l'attention par son statut
pionnier. Elle le fait aussi par sa force sociale : elle construit un cadre
d'analyse si accordé aux craintes et préjugés des intellectuels que
quantité de travaux postérieurs pourront l'illustrer, la nuancer, voire
en inverser les verdicts, mais peu d'entre eux en questionnent les
fondements, à commencer par la croyance en l'existence d'un espace
public unifié, ou dans le possible règne d'une raison objective1.
Légèrement postérieur au travail d'Habermas, L'homme unidimensionnel d'Herbert Marcuse2 illustre, sur un registre plus débiteur
à l'égard de la psychanalyse, des problématiques convergentes. Le
capitalisme avancé engendre une société close, unidimensionnelle où
même la révolte ne peut échapper aux séductions et mécanismes du
« système ». Marcuse insiste sur le rôle des médias, la manipulation
1. Voir cependant C. Calhoun (éd.), 1993 ; B. François et E. Neveu (dir.),
Espaces Publics Mosaïques, PUR, 1999.
2. 1964 ; trad. fr. Minuit, 1968.

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