Clefs - Une société de communication ? - 6e - 40

Généalogie du discours communicationnel

compréhension, accord... Que signifient ces mots quand je ne vois
autour de moi qu'exploiteurs et exploités, dirigeants et exécutants,
acteurs et spectateurs, tous gens manipulés... ? ». Cette critique, radicale et hautaine peut être lue comme l'un des repères fondateurs d'une
tradition de dénonciation des illusions du spectacle et de la fausse
communication. On peut simultanément questionner les limites d'une
critique a-sociologique du pouvoir symbolique, des maléfices de la
communication. Dénonciateur et flamboyant, le verbe situationniste
partage l'un des présupposés de la pensée communicationnelle : dans
la société moderne les rapports sociaux sont d'abord intelligibles par
les médiations qu'y intègrent des réseaux de communication, le jeu
du spectacle médiatique.

Mais la consistance théorique du courant était-elle toujours à
hauteur de sa superbe ? Les postures d'imprécateur sont de celles que
le discours publicitaire des années 1980 a le mieux su « récupérer ».
Le mouvement de retournement normatif n'est pas impénétrable à
l'analyse. Il jouera de ce que Barthes nomme « l'opération Astra » :
Manifester les défauts d'une valeur d'ordre, « la plonger dans son
imperfection... puis... la sauver malgré ou plutôt avec la lourde fatalité de ses tares ». Mystifiant le monde du spectacle ? Sans doute,
mais il est aussi riche des pouvoirs du divertissement, de l'émotion
partagée, de l'accès aux savoirs. Problématique, la rétraction du
citoyen sur le consommateur ? Certes, mais laissez-vous aussi aller
sans mauvaise conscience aux joies que prodigue la marchandise,
savourez sans périls les produits light, portez des vêtements aux
« étiquettes éthiques », jouissez du bonheur de piloter une voiture
« verte » ! Le propos n'est pas de dévaluer le situationnisme au statut
de géniteur malgré lui d'un discours de légitimation, mais de suggérer
deux réflexions. La première rappellera que toute critique reste sans
effets durables lorsque fait défaut l'analyse précise des conditions
sociales de possibilité des faits contestés. La seconde sera de s'interroger sur la combinaison d'amnésie et de réduction qui rétrécit
aujourd'hui les figures du situationnisme au rang de prophètes esthètes
ou pittoresques. Ce refoulement invite à se demander si la célébration
d'une société où tout communique n'est pas un discours anesthésiant,
toujours plus attentif à promettre un futur d'entente qu'à prendre acte
des injustices du présent.
Les années 68 sont donc le moment d'émergence au grand air
culturel d'une thématique nouvelle qui passe par un discours sur « la
culture de masse », les médias. L'anathème jeté contre le « spectaculaire-marchand » ne laisse sans doute guère prévoir les prochaines
célébrations du tout-communiquant. Mais une grille nouvelle de

Clefs - Une société de communication ? - 6e

Table des matières de la publication Clefs - Une société de communication ? - 6e