Revue Droit & Littérature - N°4-2020 - 36

Le thème
Le qualificatif donné par Paul Cambon prédestine Morand à une carrière d'écrivain diplomate, dans une tradition bien française, qu'il a menée pour le meilleur et pour le pire. De fait,
son œuvre, c'est-à-dire sa poésie, ses nouvelles, ses romans, ses chroniques, ses journaux et sa
correspondance, s'est nourrie des grands problèmes géopolitiques du xxe siècle. Après un passage
au fort de Rosny-sur-Seine en 1914, il est versé dans le service auxiliaire. Il est ensuite affecté en
1916 au Ministère des Affaires étrangères en qualité d'attaché de Cabinet, auprès de Philippe
Berthelot. De cette expérience naîtra le Journal d'un attaché d'ambassade 1916-1917, précieux témoignage sur les coulisses de la IIIe République en guerre2. Grande figure de la politique briandiste,
-Philippe Berthelot favorisa les débuts en diplomatie de Claudel, Giraudoux, Saint-John Perse. À
la suite de circonstances diverses, Giraudoux, ami de la famille Morand, fut son précepteur en
Allemagne, l'« attaché cubiste » trouvera sa place dans ce cercle des « Poètes du Quai. » D
- urant
la guerre, Morand poursuivit sa carrière à Rome, au Palais Farnèse, puis à Madrid où il se lia à
Ramón Gómez de la Serna, l'un des meilleurs représentants du modernisme espagnol avec ses
-Greguerías. Dans le même temps, l'écrivain reçoit des nouvelles du front grâce à la correspondance3
qu'il entretient avec Giraudoux. Engagé dans diverses opérations notamment dans le détroit des
Dardanelles, Giraudoux fut également instructeur militaire aux USA. En 1920, Morand rejoint le
Service des Œuvres Françaises à l'Étranger (SOFE) créé par Berthelot afin de promouvoir à l'étranger
la culture française. À la Section des Écoles, sous la responsabilité de Giraudoux4, il est chargé du
département littéraire. L'ambiance pacifiste qui règne dans ce service en fait un organe officieux
de résistance à la doctrine diplomatique française issue du traité de Versailles et conduite par Clemenceau et Poincaré. Aux dires de Morand lui-même, il s'agit d'un « anti-Quai d'Orsay ». Même
s'il faut relativiser ce terme5, la contestation et l'anti-conformisme existaient bel et bien :
« Quand je suis revenu à Paris en 1918, j'étais dans une annexe du Quai d'Orsay, créée par Philippe
Berthelot, un bureau de propagande qu'on surnommait « la rue François-Ier », et qui était une espèce
d'anti-Quai d'Orsay ! Giraudoux dirigeait le Service des Œuvres Françaises à l'étranger ; il y avait
aussi une section universitaire ; moi il m'avait confié la section littéraire ; c'était un milieu non pas de
gauche (parce que ça ne se classait pas du tout comme ça) mais anti-Poincaré. Il s'agissait de mettre en
forme la propagande française qui jusqu'à la guerre n'avait jamais existé ; de faire mieux connaître
la France à l'étranger. Berthelot fut vite très occupé par la Conférence de la paix, et nous devînmes
tout à fait libres de nos mouvements. C'était une atmosphère d'anticonformisme, d'anticlémencisme, et, il faut bien le dire, d'anti-traité de Versailles. Cela allait de Keynes aux journaux avancés
de l'époque. Nous avons eu l'impression d'un déclin de l'Europe. Spengler allait nous explique que
ce n'était qu'un stade et qu'on verrait bien pire. Eh ! bien, c'est dans cette atmosphère que sont nés
Ouvert la nuit et Fermé la nuit6 ».
2.  Voir sur cette question notre article : « Guerre et politique dans le Journal d'un attaché d'ambassade 1916-1917 de Paul Morand », Revue
d'histoire littéraire de la France, n° 4, octobre-décembre 2015.
3.  Une partie de cette correspondance est reproduite dans l'essai intitulé Giraudoux in Mon plaisir... en littérature, Gallimard/Folio, 1967,
p. 191-281.
4.  « Vint l'armistice. Avec les débris des services de la propagande de guerre, Philippe Berthelot créait à ce moment le Service des
Œuvres Françaises à l'étranger et mettait Giraudoux à la tête. Je vins l'y rejoindre. Nos bureaux, rue François Ier en face du Quai
d'Orsay, étaient mitoyens. », Ibid., p. 272.
5.  Comme le fait Michel Collomb : « Le Service des Œuvres Françaises n'était sans doute pas cette « espèce d'anti-Quai d'Orsay
dont a parlé Morand, mais il jouissait d'une relative autonomie et en profitait au maximum », Petits certificats de vie, Hermann éditeurs,
Paris, 2007, p. 24.
6.  Extrait des Entretiens de 1971 avec Jean-José Marchand, Paul Morand Entretiens, La Table ronde, 1990, p. 71. L'ouvrage retranscrit
les entretiens télévisés réalisés en 1971 et en 1976.

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Droit & Littérature - Numéro 4

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17/06/2020 17:31:21
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