Revue Droit & Littérature - N°4-2020 - 51

Le thème
qui fait des habitants d'un espace qui s'étend du Don à l'estuaire du Tage9, les héritiers à la fois de
l'Empire romain, de la Chrétienté et de la civilisation gréco-latine. Il reconnaît à l'Empire le mérite
d'avoir propagé le latin sur un vaste territoire et d'avoir amené les Barbares à le parler et à enrichir
la culture dont il est porteur. À l'Église il sait gré d'avoir perpétué son usage et donc l'accès à la littérature romaine10.
Si ont été placés au rang des dieux Cérès, Liber, Minerve, pour avoir, pense--
t‑on, découvert le blé, le vin, l'huile, et beaucoup d'autres pour quelque bienfait
comparable, serait-il moins bénéfique d'avoir donné aux nations la langue latine,
cet excellent fruit, et vraiment divin, cet aliment non du corps, mais de l'âme ? En
effet, cette langue a appris à ces nations et à tous les peuples l'ensemble des arts
que l'on dit libéraux ; elle leur a enseigné les meilleures lois ; elle a pavé pour eux
la voie de toute sagesse ; elle a fait, enfin, que l'on ne puisse plus les appeler plus
longtemps des barbares11.
Ainsi, les Romains ont fait deux cadeaux aux nations : l'Empire, qu'ils ont imposé par le glaive et
le sang, et le latin, dont les peuples ont découvert peu à peu la splendeur :
[L'Empire], voici déjà quelque temps que les peuples et les nations l'ont rejeté,
comme un fardeau désagréable ; [la langue latine], ils ont estimé qu'elle était plus
douce que tout nectar, plus chatoyante que toute soie, plus précieuse que tout or
et toute gemme, et, comme si elle avait été envoyée du ciel par quelque Dieu, ils
l'ont conservée auprès d'eux12.
Dans le Discours du 18 octobre 1455 pour l'inauguration de l'année universitaire, Valla établit
que les arts et les sciences ne peuvent progresser véritablement que s'ils sont pratiqués par un
grand nombre de personnes qui parlent la même langue et rivalisent entre elles pour la gloire13 :
-l'Empire a créé ces conditions. Le cas des bâtisseurs de la tour de Babel, obligés d'abandonner leur
projet en raison de la zizanie qu'avait provoquée la diversité des langues, démontre a contrario que
-l'Empire romain a bénéficié de son unité linguistique14.

9. À l'époque de Valla, l'Europe géographique se déploie du Don (le Tanaïs des Anciens) et du Bosphore à la péninsule ibérique.
Telles sont les limites que lui donnait Strabon et que lui donne encore Enea Silvio Piccolomini, lorsqu'en 1458, peu avant de devenir
Pape, il compose les Gesta sub Federico III, qui portent le titre De Europa dans les éditions imprimées à partir de 1490. Voir Enea Silvio
Piccolomini, De Europa, éd. A. van Heck, Cità del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, 2001.
10. Voir J. Chomarat, « Aspects de la conscience européenne chez Valla et Érasme », Mots et Croyances, Présences du latin, II, Genève,
Droz, 1995, p. 76-86.
11. L. Valla, préface du livre I, Elegantiarum libri VI, dans Opera, Bâle, Henric Petri, 1543, p. 3 : An uero Ceres quod frumenti, Liber quod
uini, Minerua quod olei inuentrix putatur, multique alii ob aliquam huius modi beneficentiam in Deos repositi sunt, linguam Latinam nationibus distribuisse
minus erit, optimam frugem, et uere diuinam, nec corporis, sed animi cibum ? Haec enim gentes illas populosque omnes omnibus artibus, quae liberales uocantur,
instituit : haec optimas leges edocuit : haec uiam ad omnem sapientiam muniuit, haec denique praestitit, ne barbari amplius dici possent. Sauf indication
contraire, les traductions sont de nous. Une édition des Elegantiae est disponible : L. Valla, De linguae latinae elegantia, int., éd. critique,
trad. espagnole et notes de Santiago López Moreda, Cáceres, Universidad de Extremadura, 1999, 2 vol.
12. Id., préface du livre I, Elegantiarum libri VI, dans Opera, Bâle, Henric Petri, 1543, p. 4 : [Imperium] iampridem, tamquam ingratum onus,
gentes, nationesque abiecerunt : [sermonem] omni nectare suauiorem, omni serico splendidiorem, omni auro, gemmaque preciosiorem putauerunt, et quasi Deum
quemdam e coelo demissum, apud se retinuerunt.
13. Id., Orazione per l'inaugurazione dell'anno accademico 1455-1456, 12 et 17, éd. S. Rizzo et al., Rome, Roma nel Rinascimento, 1994,
p. 194 et 196.
14. Ibid., 16, p. 196.

Droit & Littérature - Numéro 4

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17/06/2020 17:31:21

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