Revue Droit & Littérature - N°4-2020 - 81

Le thème

III. Les premières conclusions
À l'issue d'une première journée d'étude ayant donné lieu au premier ouvrage consacré aux concepts
et à la typologie des récits judiciaires de l'Europe, il a pu être constaté que la plus-value cognitive d'une
approche par les récits permettait aux observateurs que nous sommes de nous distancier de la jurisprudence et de renforcer ainsi la dimension politique de l'Europe (A). Cette approche a également mis en
évidence que les différents récits identifiés alimentent le méta-récit de l'Europe intégrationniste (B)37.

A. Les apports : distanciation et politisation
Plusieurs auteurs l'ont constaté : les récits judiciaires échappent à la pure logique juridique dès lors
qu'ils ne résultent pas uniquement du travail du juge mais d'une coproduction à la fois de différents
acteurs du monde judiciaire, mais également de l'observateur qui en est aussi l'énonciateur38. Ce
constat impose une prise de distance par rapport à la jurisprudence, qui implique de tenir compte
du rôle de ces acteurs39, de la « communauté épistémique », définie comme « un réseau de professionnels ayant une expertise et une compétence reconnue dans un domaine particulier et une revendication d'autorité en ce qui concerne les connaissances pertinentes pour les politiques »40. Figure
emblématique de ces réseaux d'experts sur l'Union, l'avocat général Poiares Maduro a par exemple
joué un rôle considérable dans la construction d'un récit de l'Europe plurielle, rôle qui s'explique
par le parcours de ce membre actif de l'« Académie européenne »41, par ses lectures, ses rencontres,
ses sources d'inspiration, autant d'éléments qui apportent un éclairage nouveau sur le contenu de ses
conclusions, une fois devenu avocat général à la Cour de justice42. Une telle approche se distingue,
on le conçoit aisément, d'une étude jurisprudentielle du pluralisme constitutionnel dans l'ordre juridique de l'Union en ce qu'elle implique une prise de distance avec la jurisprudence. En ce sens, elle
contribue à la politisation Europe par du droit de l'Union européenne43.
37. Ces éléments sont plus amplement analysés dans la conclusion de l'ouvrage précité, rédigée par E. Bernard.
38. Sur les dangers d'une distinction qui se voudrait trop nette entre les pratiques narratives des acteurs et l'élaboration du récit par
les observateurs que nous sommes, voir la mise en garde très pertinente de Q. Landenne, qui considère qu'une exclusion, par principe des « pratiques narratives des acteurs » hors du cadre conceptuel des récits de l'Europe « aurait pour conséquence de ramener
ces narratifs (...) au statut classique de cadres d'analyse en troisième personne, potentiellement déconnectés des pratiques narratives
de la Cour, de sa manière de mettre en récit l'Europe, alors que c'est précisément (...) l'un des intérêts du projet d'ouvrir ce champ
d'analyse », Q. Landenne, « Les matrices narratives de la CJUE comme ressources reconstructives. Quelques éléments de réflexion
épistémologique », in Les récits judiciaires de l'Europe - Concepts et typologie, op. cit., pp. 41-47.
39. Le rôle des avocats et des parties au litige dans l'élaboration de récits judiciaires a été mis en évidence par Fernanda Nicola,
« -Bottom up Narratives at the European Court of Justice : Revamping Legal Facts, Forms and Rhetoric in the Grands Arrêts », ainsi
que par Antoine de Cabanes et Clément Fontan « La Cour de justice face à Gauweiler. La mise en récit de l'indépendance de la
BCE », in Les récits judiciaires de l'Europe - Concepts et typologie, op. cit., pp. 169-191.
40. P. Haas, « Epistemic communities international policy coordination », in International organization, 1992, 46/1, pp. 1-35, p. 3. Cité
et traduit par M. Meyer et S. Molyneux-Hogson, « 'Communautés épistémiques' : une notion utile pour théoriser les collectifs en
sciences ? », Terrains & travaux, vol. 18, no. 1, 2011, pp. 141-154, p. 143, cité par Q. Landenne, op. cit.
41. A. Vauchez et C. Robert, « L'Académie européenne. Savoirs, experts et savants dans le gouvernement de l'Europe », Politix,
2010/1, n° 89, pp. 9-34.
42. H. Canihac, op. cit.
43. Pour une analyse de la contribution d'une étude sur les récits judiciaires de l'Europe à la politisation des études juridiques de
l'Union européenne, voir L. Clément-Wilz, « Les promesses de re-politisation et de ré-incarnation des études juridiques de l'Union
européenne », in Les récits judiciaires de l'Europe - Concepts et typologie, op. cit., pp. 59-70.

Droit & Littérature - Numéro 4

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17/06/2020 17:31:22

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