Bibliothèque de droit public - Tome 317 - Sans domicile fixe et droit - 447

LA PUNITION DE L'ÉTAT DANGEREUX DES SDF

431

répression à leur égard. Les personnes SDF sont donc exposées à subir les peines
prévues par ces incriminations. Or, même si rien n'empêche en théorie de prononcer des peines d'amende à l'encontre des sans-abri auteurs d'une de ces infractions, leur insolvabilité fait obstacle la plupart du temps à ce qu'elles leur soient
effectivement infligées. À leur égard, ce sont évidemment les peines autres que
financières qui sont privilégiées et en particulier les peines privatives de liberté122
voire les peines complémentaires telles que l'interdiction du territoire123.
657. L'insidieuse fonction préventive de ces incriminations. Outre ces sanctions
pénales, il est permis d'estimer que ces incriminations ont moins été pensées pour
aboutir à la condamnation pénale des mendiants et autres individus précaires de
la rue que pour renforcer les moyens coercitifs à leur encontre. En ce sens, le fait
que le délit de mendicité agressive prévoit des peines moins élevées que celles
encourues en cas d'extorsion - six mois d'emprisonnement et 3 750 euros
d'amende dans le premier cas contre sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros
d'amende dans le second - suggère que l'utilité de ces incriminations ne s'épuise
pas avec le prononcé d'une sanction pénale.
À l'instar de ce que Danièle Mayer constatait déjà en 1989 sous l'empire du
délit de mendicité issu de l'ancien Code pénal, ces incriminations poursuivent
certainement en parallèle de la répression un objectif préventif et dissuasif. L'auteur constatant « la grosse disproportion qui existe entre le chiffre des infractions de
vagabondage et de mendicité constatées par la police et celui des décisions rendues
dans les mêmes matières », elle concluait que « si les articles 274 et 275 du Code
pénal réprimant la mendicité ne sont pas déviés de leur fonction originaire qui est de
sanctionner une infraction, leur fonction véritable serait de permettre le contrôle
social d'une forme de déviance, soit par les moyens des obligations du contrôle judiciaire soit même simplement par celui d'une garde à vue non suivie de poursuites »124.
Ainsi, la présomption de dangerosité pénale des personnes sans-abri permet
d'avoir recours aux outils de la procédure pénale, notamment via les contrôles
d'identité et les placements en garde à vue. La menace que constitue l'existence de
ces incriminations pour les personnes SDF suffit alors à obtenir leur déguerpissement et à obvier tout trouble à l'ordre public, et de façon bien plus coercitive que
ce qu'autoriserait la police administrative générale puisqu'une mesure privative
de liberté est possible. Cet objectif a d'ailleurs été expressément mis en avant,
notamment à l'occasion de la discussion sur l'amendement déposé devant la commission des lois de l'Assemblée Nationale proposant d'incriminer la vente à la
sauvette, le rapport qui en est issu ayant clairement fait valoir que cette disposition permettrait entre autres le placement en garde à vue125.
Dès lors, il y a de fortes chances que ces incriminations restent « bien plus
souvent la seule affaire de la police que celle du juge »126.
122. Cf. supra §608 et s.
123. Article 312-4 du CP. En outre, le fait que ces comportements soient délictuels permet
d'appliquer les règles qui aggravent la peine en cas de récidive, v. les articles 132-8 et s. du CP.
124. D. MAYER, note précitée.
125. La garde à vue n'étant possible qu'à la condition qu'une peine d'emprisonnement soit
encourue (article 62-2 du CPP), l'ancienne contravention de la vente à la sauvette ne permettait pas
d'avoir recours à cette mesure.
E. CIOTTI, Rapport sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de
la sécurité intérieure, Assemblée Nationale, Rapport n° 2271, 27 janvier 2010, p. 225.
126. D. MAYER, note précitée. Cf. aussi supra §24.

978-2-275-07829-8__DOCFILE__ranaivo_978-2-275-07829-8_these.indd 431

19/05/2020 14:20:33

Bibliothèque de droit public - Tome 317 - Sans domicile fixe et droit

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit public - Tome 317 - Sans domicile fixe et droit