Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 155 - Les Français de l'étranger comme catégorie politique - 50

LES FRANÇAIS DE L'ÉTRANGER COMME CATÉGORIE POLITIQUE

La filiation devient la source de la nationalité, quel que soit le lieu de naissance et
de résidence. La nation étant assimilée à la famille, « la nationalité doit se transmettre comme on transmet le nom de famille, par la filiation »24.
119. La représentation de l'émigration n'est plus marquée d'une indétermination potentiellement dangereuse qu'il faut lever comme sous l'Ancien Régime ou la
Révolution. Au contraire, ainsi que le souligne François-Denis Tronchet, président
de la commission des juristes chargés de préparer le texte, « C'est l'usage d'une
faculté naturelle qu'on ne peut contester à l'homme. On quitte souvent sa patrie
pour des motifs innocents ; le plus souvent on s'y détermine pour l'intérêt de sa
fortune »25. En outre cette absence est momentanée. Ce caractère temporaire est
souligné par Pierre Sébastien Boulay, autre juriste impliqué dans cette rédaction,
« Le fait de vivre à l'étranger ne peut être que temporaire. Il est donc justifié que
l'on transmette sa nationalité à ses descendants »26. De ce fait ceux qui émigrent
veulent garder des contacts avec leur pays. « L'attachement que nous portons à
notre sol et à nos compatriotes nous a toujours persuadés qu'on ne les abandonnait
que temporairement et avec le désir de les revoir »27 est-il indiqué dans les travaux
préparatoires à l'élaboration de ce Code. Les Français « conservent toujours un
espoir de retour ».28 L'émigration ne renvoie donc plus à un éventuel désaccord avec
le pouvoir politique ; elle est transitoire, motivée par des raisons économiques ;
ceux qui partent ne doivent pas être pénalisés, et il importe de conserver des relations avec eux. Dès lors, les nécessaires preuves exigées antérieurement lors du
retour n'ont plus lieu d'être : ceux qui sont nés d'un père français sont présumés être
attachés à la France. L'attachement est consubstantiel à la qualité de Français et a
été transmis, avec elle, par le sang du père. La nationalité, statut personnel permanent, mène à maintenir des rapports avec ces Français de l'étranger. En outre l'instauration par Napoléon du principe d'allégeance perpétuelle, qui restera en vigueur
jusqu'en 1889, leur interdit de se faire naturaliser sans autorisation du Gouvernement français : « Il s'agit, à partir de 1809, de forcer les Français à quitter les armées
ou administrations ennemies, de les empêcher d'échapper à la conscription, ou
encore de mieux les contrôler lorsqu'ils sont partis servir des États alliés de l'Empire »29. Nous retrouvons ici l'influence des idées de Jean Bodin, synthétisées dans
l'aphorisme, « Il n'est de richesse que d'hommes », alors que la part relative de la
population française en Europe commence à décroître.
120. L'État-nation se projette hors de son cadre territorial, et ceci de façon
pérenne puisque les Français de l'étranger transmettent leur nationalité à leurs
enfants. La rupture introduite, sous le Consulat, par le Code civil mène donc à
l'émergence d'un « nous » qui dépasse les frontières ; la nationalité se détache du
territoire. La question du lien se pose maintenant non au retour de ceux qui vivent
à l'étranger, mais avec eux. Les Français de l'étranger sont constitués en tant que
groupe permanent, et le contenu des relations à établir avec ces communautés,
résidant hors du territoire où s'exerce la souveraineté, va faire l'objet de nombreuses recompositions, illustrant la capacité du pouvoir politique à faire évoluer
ses pratiques.
24. P. Weil, 2005, p. 50.
25. P. Weil, 2005, p. 47.
26. R. Brubaker, 1997, p. 141.
27. Ibid.
28. P. A. Fenet, 1836, vol 7, p. 150-170.
29. P. Weil, 2005, p. 53.

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