Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 155 - Les Français de l'étranger comme catégorie politique - 57

Histoire du lien

intérêt à faire profiter nos compatriotes résidant à l'étranger des avantages qui
sont assurés aux Français habitant sur le territoire national »61.
148. L'application de la loi à l'étranger suppose que des financements soient
affectés à des « offices consulaires » qui sont à créer. Ils procéderont à la répartition
des crédits et contrôleront leur affectation. L'État doit donc prendre le relai des
œuvres privées qui interviennent à l'étranger. Député de Haute-Savoie, membre de
l'Entente républicaine démocratique, militant catholique, lui-même né en Suisse,
P. Tapponnier illustre son propos avec l'exemple de Genève, où une société philanthropique privée élève des enfants français, parmi lesquels des orphelins de guerre.
149. Le dépôt de cette proposition de loi intervient alors que, depuis 1918,
des débats portant sur la révision de la loi sur les pupilles de la nation, se déroulent
au Sénat. Ils concernent en particulier les ayants droit. Il s'agit, selon Faron, de :
« Trois grandes catégories de pupilles : les fils ou filles de disparus, les
enfants de réformés ou mutilés, les orphelins nés hors du territoire national
de 1914. D'un point de vue historique et symbolique l'élargissement le plus
important concerne l'Alsace et la Lorraine62. »
150. L'extension aux orphelins résidant à l'étranger n'est pas évoquée dans
le projet du Gouvernement. Elle émergera au cours des cinq années de débat qui
seront nécessaires pour arriver au texte définitif. Une telle durée pour trouver un
accord entre les deux Chambres peut surprendre. Outre la définition du champ
d'application de la loi, le texte devait modifier la composition des conseils d'administration des offices départementaux qui assurent la protection des pupilles.
Le contrôle de la nouvelle institution que constituent ces conseils, via la place
respective donnée aux représentants du monde combattant, aux associations
laïques et catholiques, à l'enseignement public et à l'enseignement privé, va donner lieu à de fortes oppositions. Le combat du sénateur Jules Delahaye pour protéger les orphelins de guerre contre la possibilité d'un enseignement ou d'une
propagande faites par les instituteurs communistes63 est emblématique des positions de la droite catholique. La composition de ces conseils d'administration
avait, en particulier, une influence importante sur l'attribution de subventions aux
établissements qui accueillaient les pupilles de la nation.
151. Comment résoudre ces oppositions politiques alors que le pouvoir législatif est partagé de façon égale entre les deux Assemblées parlementaires ? Si la
navette ne permettait pas d'aboutir à un accord, l'une des Assemblées pouvait
repousser indéfiniment le texte ou l'enterrer en ne le mettant pas en discussion.
Pour sortir d'une telle impasse le Gouvernement n'avait qu'une possibilité : menacer de démissionner si le texte n'était pas adopté. Dans cette configuration les
négociations dans les commissions parlementaires, entre lesquelles se répartissent
députés et sénateurs, ou en dehors des commissions, jouent un rôle fondamental.
Lorsque le texte arrive en séance publique les accords ont été trouvés. Le cas présent illustre à la fois la capacité de résistance du Sénat et l'intensité des échanges
avec le Gouvernement. Il faudra trois ans entre le dépôt du projet de loi et son
premier examen en séance publique, période pendant laquelle deux rapports sénatoriaux seront rédigés, tandis qu'à la Chambre des députés des mesures
61. Ibid.
62. O. Faron, 2001, p. 135.
63. Sénat, Annales, 1921, 30 juin, p. 1693.

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