Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 155 - Les Français de l'étranger comme catégorie politique - 72

LES FRANÇAIS DE L'ÉTRANGER COMME CATÉGORIE POLITIQUE

droit [...] les riches étaient, symboliquement, traités comme les pauvres, en se
fondant sur l'universalisation de la catégorie anthropologique de « travail »
en tant que caractère spécifique de l'humain. La plupart des droits sociaux
désormais garantis ou conférés par l'État étaient en effet conditionnés par
l'engagement plus ou moins stable des individus « actifs » dans une profession qui leur conférait un statut reconnu dans l'ensemble de la société »122.
205. Cette position ouvre un nouveau débat sur la territorialité des lois. Si
l'appartenance nationale se détache du territoire, la citoyenneté sociale universaliste doit également s'en détacher. Trois vœux présentés par l'UFE aux pouvoirs
publics illustrent la contradiction entre citoyenneté sociale et territorialité des lois
lors de cette période de l'entre-deux-guerres : l'indemnisation des sinistrés, le
financement de l'éducation et celui de la protection sociale.

§ 8. « UNE SOLLICITUDE PLATONIQUE »
206. L'ampleur des destructions subies lors de la Grande Guerre avait induit
l'adoption d'une loi ouvrant aux sinistrés un droit à l'indemnisation du préjudice
subi, en affirmant « l'égalité de tous les citoyens français devant les charges de
guerre »123. Pourtant l'indemnisation des Français de l'étranger fait encore débat
en 1929, soit dix ans après le vote de la loi de réparation de 1919. C'est une des
premières questions dont l'UFE, au nom de l'Union des sinistrés français de
l'étranger, se saisit, car le pouvoir exécutif interprète de façon restrictive le principe posé par le pouvoir législatif. Henri Poincaré, Président du Conseil, exprime
sa sollicitude, mais analyse cette loi de réparation comme destinée à « la reconstitution de l'activité économique sur le sol français »124 et non comme la réparation
des préjudices particuliers des sinistrés. Interprétation confortée, à ses yeux, par le
fait que ces sinistrés ne paient pas l'impôt en France et ne peuvent donc pas se
réclamer de la solidarité nationale. L'argumentaire de l'UFE concernant l'appartenance à la communauté nationale est battu en brèche : la contribution des sinistrés de « la plus grande France » n'est pas prise en compte, il ne peut donc être
question de solidarité avec eux.
207. Pourtant, l'année suivante, en 1930, le Parlement, s'en tenant au principe d'égalité des citoyens français devant la loi qu'il a adoptée, vote un crédit de
cinquante millions de francs pour les sinistrés français de l'étranger. La divergence d'interprétation entre le Gouvernement et le Parlement est manifeste : pour
ce dernier les Français de l'étranger ont droit à la solidarité nationale même s'ils
ne participent pas à son financement par le paiement de l'impôt en France. Bien
que la somme soit très en retrait de ses attentes, l'UFE arrête le combat. Par
contre, une autre association de sinistrés considère cette réparation partielle des
dommages comme inacceptable. Elle prend alors la relève en s'appuyant sur une
logique différente : il s'agit d'un droit imprescriptible car ils ont « payé aussi durement que ceux de métropole l'impôt du sang », en plus des « services rendus à la
mère-patrie dans tous les domaines »125. Question qui n'aura pas trouvé de
122. E. Balibar, 2010, p. 29.
123. Loi du 17 avril 1919 sur la réparation des dommages de guerre, article 1er.
124. La voix de France, 1929, juin.
125. La voix de France, 1929, mai.

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