Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 155 - Les Français de l'étranger comme catégorie politique - 73

Histoire du lien

réponse en 1939. Les sommes en jeu, les difficultés pour évaluer les préjudices
subis et mettre en place les mécanismes de compensation en dehors du territoire
national expliquent que la question soit restée en suspens. La confrontation entre
la logique de défense de la patrie, qui mobilise le sang, et la logique économique,
le paiement de l'impôt comme condition nécessaire pour bénéficier de la solidarité nationale, trouve là une première illustration. Les divergences quant aux
limites de la solidarité, renvoyant à la territorialité des lois, apparaissent au sein
du système institutionnel. De plus, la division des Français de l'étranger face à
cette question met à mal le mythe de leur unité.
208. Autre sujet d'inquiétude : la pérennité des « colonies » françaises est
menacée par le repli démographique. Le critère d'appartenance étant la langue,
ceci suppose de maintenir son enseignement. Le débat concerne, à partir des
années 1920, principalement la scolarité dans les pays de résidence. Ce système
d'éducation doit transmettre non seulement la langue mais aussi favoriser l'adhésion à une conception de l'histoire commune. Il faut donc soustraire les enfants à
l'influence des écoles étrangères mais sans les faire venir en France. Pour cela la
même prise en charge qu'en métropole doit être assurée dans les pays de résidence. Peu importe qu'il s'agisse d'établissements privés, bénéficiaires de subventions d'État, qui accueillent également des élèves étrangers. Ils doivent, selon
l'UFE, accorder des conditions particulières aux familles françaises, prioritaires
par rapport aux familles étrangères.
209. Cette position conduit l'UFE à intervenir dans un débat majeur, celui de
la laïcité de l'enseignement. Elle demande que « l'État autorise le fonctionnement
des noviciats indispensables pour assurer le recrutement de religieux français qui
enseignent notre langue à l'étranger »126, tout en précisant qu'elle se place « exclusivement sur le terrain national de la propagation de la langue française à l'étranger
et repousse toute intrusion dans le domaine de la politique ou de la religion ».
210. Cette question a été l'objet de longs débats à la Chambre des députés en
1928 et 1929, car elle rouvre, en particulier, la discussion sur la loi de 1904 qui
supprimait l'enseignement congréganiste127. Henri Poincaré, Président du Conseil,
et Aristide Briand, ministre des Affaires étrangères, présentent alors des projets de
loi qui visent à autoriser ces noviciats. L'enseignement que dispensent ces congrégations est, pour le Gouvernement, un des vecteurs de l'influence intellectuelle et
morale de la France. Il s'agit donc de « faire sortir cette question du domaine
politique pour la placer sur le terrain de l'intérêt national »128 car si on laisse disparaitre ces congrégations ce sont leurs équivalents étrangers qui recueilleront
« l'héritage que nous laissons mourir »129. Un débat qui divise profondément la
société française, celui des relations entre les Églises et l'État, est, comme cela
avait été le cas pour l'application de la loi sur les pupilles de la nation, exclu du
champ du politique par des représentants du pouvoir exécutif, lorsqu'il s'agit de
la situation à étranger. Les questions de compétition internationale priment sur le
débat national. Face aux menaces pesant sur la prééminence de la langue -française,
126. La voix de France, 1930, février.
127. Loi du 7 juillet 1904 relative à la suppression de l'enseignement congréganiste.
128. Chambre des députés, Annales, 1929, 22 mars, Marcel Hérault, rapporteur de la commission
des affaires étrangères, p. 1022.
129. Chambre des députés, Annales, 1929, 7 mars, Marcel Hérault, rapporteur de la commission
des affaires étrangères, p. 457.

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