Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 38 - Les échelles du Levant et de Barbarie - 242

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LES ÉCHELLES DU LEVANT ET DE BARBARIE

III. LA CRITIQUE ET LA SUPPRESSION DES ARRANGEMENTS
458.  Dès 1729, la Chambre de commerce de Marseille manifeste son hostilité aux arrangements. Craignant un phénomène de dumping de la part de la
concurrence étrangère121, elle dénonce notamment la fixation des prix des marchandises françaises122. La Chambre oppose en outre des positions libérales au
dirigisme commercial imposé par l'administration royale. Dix ans avant l'affirmation du « laissez faire, laissez passer » physiocratique par Vincent de Gournay123,
les milieux d'affaires marseillais plaident en faveur du retour à une liberté commerciale pleine et entière, ainsi qu'à une autorégulation du marché124 :
Le droit naturel permet à chaque particulier de disposer de son bien
comme bon luy semble et on ne sauroit penser que les négocians de Marseille
veuillent en faire un mauvais usage. Chacun est présumé maître dans son art,
d'où il suit que les négocians doivent être réputés et sont réellement par leur
pratique dans le commerce dont ils se mèlent, plus habiles que s'ils ne
connoissoient que par spéculation, qui est toujours infiniment au-dessous de
l'expériance. Il y a dans l'État des négocians, comme dans toutes les autres
professions, des gens habilles et d'autres qui le sont moins, mais ils connoissent
leurs intérêts bien mieux que tous les autres et en effet il s'est formé une
quantité de bonnes maisons à Marseille lorsqu'on y a eu la liberté de faire
sans nulle sorte de gêne le commerce du Levant125.
459.  Ces conceptions sont par ailleurs reprises par la littérature économique.
Dans son ouvrage publié en 1755 sur les Nouveaux motifs pour porter la France à
rendre libre le commerce du Levant, le célèbre pamphlétiste Ange Goudar126
les échelles principales, en fixer le prix, les faire achetter par des députés ou commissionaires de chaque
corps de la nation dans ces échelles et les répartir ensuitte à tous les membres. Mais en ce cas, il faut
que les nations ayent la liberté de faire elles mêmes ces règlemens et d'y aporter les changemens que les
tems et les circonstances peuvent exiger » (Paris, AN, AE, BIII 237, pièce 3, fol. 2).
121. Mémoire sur les déffenses de charger des cires en Levant, 1729 : « Il est certain que les
Anglois, les Holandois et les Italiens fairont le commerce des sucres à Constantinople et à Smyrne à
notre exclusion et avec plus d'étendue à cause de l'union. [...] Chaque étranger est le maître de vendre
comme il l'entend et avec la liberté et les François ne peuvent plus faire la même chose. Lorsqu'il faut
convoquer un corps, qu'une assemblée se tient et qu'on délibère s'il faut vendre et à quel prix, il
s'escoule un temps pendant lequel les achepteurs se pourvoient ailleurs et les achapts cessent au lieu
qu'augmente » (Paris, AN, AE, BIII 236, pièce 8, fol. 3).
122. Mémoire sur les déffenses de charger des cires en Levant, 1729 (Paris, AN, AE, BIII  236,
pièce 8, fol. 2v).
123. Sur la pensée économique de Vincent de Gournay, voir S.  Meyssonier, « Vincent de
Gournay (1712-1759) et la " balance des hommes "  », Population, t.  45/1, 1990, p.  87-112 et
J.-Y.  Grenier, Histoire de la pensée économique et politique de la France d'Ancien Régime, Paris,
Hachette, 2007, p. 181 et s.
124. Mémoire des majeurs des maisons établies dans les différentes échelles du Levant autres que celle de
Constantinople, s. d. : « Il doit être libre à chaque négociant de vendre et d'achetter ainsy qu'il le trouvera à
propos sans que MM. les consuls se formalisent s'ils le font cher ou à bon marché, n'étant pas douteux que
ne travaillant que dans la vue de gagner, personne ne scait mieux qu'eux ce qui leur convient. [...] La liberté
est l'âme du commerce qui n'a besoin que d'une grande protection, alléguer qu'il y a des imprudens ce n'est
point une raison pour gêner, il y en a dans tous les États, tampis pour eux. [...] Les fixations et prix des
ventes par répartition la rende inutile et l'émulation dans le négociant ne se trouve plus. C'est elle pourtant
qui fait fleurir le commerce dans tous les États » (Paris, BNF, ms. fr., 11 790, p. 650).
125. Représentations de la Chambre de commerce de Marseille, 29  septembre  1742 (Marseille,
ACCIM, J 1560, fol. 1).
126. Fils de l'inspecteur général des manufactures du Languedoc, Ange Goudar est un
personnage ambigu : un temps espion au service du secrétariat d'État aux affaires étrangères, il fait

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