Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 38 - Les échelles du Levant et de Barbarie - 40

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LES ÉCHELLES DU LEVANT ET DE BARBARIE

diplomatique et religieux104. Le primat du plénipotentiaire est finalement généralisé par les capitulations de 1581 qui concèdent la préséance au représentant français sur tous les ambassadeurs européens, y compris ceux envoyés par l'empereur
lui-même105. Ces dispositions constituent d'ailleurs un manquement manifeste au
protocole commun à toutes les cours européennes, où les résidents impériaux ont
le pas sur tous les autres représentants106. Au xviie siècle, l'Espagne, l'Angleterre et
l'Autriche essaie d'ailleurs à plusieurs reprises de contester la préséance française
au Levant sans toutefois y parvenir107.
47.  En outre, la reconnaissance par le sultan d'une supériorité du roi de
France sur les autres souverains européens permet à ses représentants dans le
Levant d'accueillir sous sa protection les sujets des royaumes et principautés qui
n'entretiennent pas de rapports directs avec la Porte.
2.	 L'objet du monopole de protection
48.  La protection est généralement définie comme un lien juridique qui rattache une personne à un État et la fait jouir de certains droits et avantages dérivés
de la qualité de national de cet État, sans cependant lui conférer cette qualité de
national, ni le statut personnel qui en dépend108. Le khatt-i sherif de 1528 prévoyait déjà l'extension de son régime aux Européens placés sous la protection des
consuls franco-catalans établis à Alexandrie109. Les capitulations de 1569 évoquent
en termes sibyllins, dans leur préambule, les « subjectz de France ne autres qui
cheminent soubz son nom et bannière »110. Plus précises, celles de 1581 imposent
aux « Genevois et Anglois et Portugais et Espagnols et marchands Catellans et
Siciliens et Anconitains et Ragusois et entièrement tous ceux qui ont cheminé
soubs le nom et bannière de France d'ancienneté jusques à ce jourd'huy »111 de se
placer sous la protection française. Elles prévoient ensuite que l'ensemble du
régime capitulaire s'appliquera non seulement aux « marchands de ces pays de
France », mais également aux « autres étrangers qui sont en leur protection »112.
Au xvie siècle, seuls les Vénitiens, qui disposent de leurs propres capitulations113
104. Lettre du sultan Murad III au roi Henri III, 15 juillet 1580 (éd. E. Charrière, Négociations
de la France dans le Levant, op. cit., t. III, p. 923-924).
105. Capitulations de Mourad III, 15  juillet  1581 (éd.  cit., p.  385). Sur l'importance de cette
notion de préséance au sein du protocole diplomatique d'Ancien Régime, voir le v° Préséance,
Dictionnaire de Trévoux (éd. cit., t. VI, p. 970b).
106. Cette dérogation est notamment évoquée dans un Mémoire pour servir d'instruction au
sieur marquis de Villeneuve, conseiller d'État, allant à Constantinople en qualité d'ambassadeur de sa
majesté, 11 août 1728 (éd. P. Duparc, Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres
de France depuis les traités de Westphalie jusqu'à la Révolution française, Paris, CNRS, 1969,
t. XXIX, p. 293).
107. F. Rey, La protection diplomatique et consulaire dans les échelles du Levant et de Barbarie,
op. cit., p. 187-188.
108. Cette définition classique a notamment été formulée au début du xxe siècle par P. Arminjon,
Étrangers et protégés dans l'Empire ottoman. Nationalité, protection, indigénat, condition juridique des
individus et des personnes morales, Paris, A. Chevalier-Marescq, 1903, p. 262.
109. Khatt-i sherif de Soliman, 21 septembre 1528 : « Les Cathelans et Françoys et autres nations
qui sont soubz leur consulat en Alexandrie » (éd. cit., p. 346).
110. Capitulations de Sélim II, 18 octobre 1569 (éd. cit., p. 366).
111. Capitulations de Mourad III, 15 juillet 1581 (éd. cit., p. 384).
112. Capitulations de Mourad III, 15 juillet 1581 (éd. cit., p. 386).
113. Sur le rôle de Venise, voir B. Simon, « Contribution à l'étude du commerce vénitien dans
l'Empire ottoman au milieu du XVIe siècle (1558-1560) », Mélanges de l'École française de Rome.
Moyen Âge, temps modernes, t. 96/2, 1984, p. 973-1020.

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