Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 38 - Les échelles du Levant et de Barbarie - 54

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LES ÉCHELLES DU LEVANT ET DE BARBARIE

honnorablement et s'exempter de faire des bassesses, de sorte qu'ils s'attirent
souvant des affaires, ou par leur état, ou par leur mauvaise conduite218.
75.  Cette indiscipline répétée des protégés conduit parfois à envisager le retrait
unilatéral de la protection par la France. Aucun texte juridique ne prévoit les causes
du retrait du statut de protégé. L'étude de la pratique démontre que ces causes sont
diverses, mais renvoient toujours soit à une faute commise personnellement par le
protégé, soit à un conflit d'intérêts entre celui-ci et le corps de la nation. Selon
l'usage, le retrait de la protection ne concerne cependant que l'auteur de la faute et
non les personnes qui lui sont affiliées219. Les retraits de la protection pour faute
personnelle ont le plus souvent pour objet l'activité commerciale des protégés,
notamment leurs faillites220. Leur « vie scandaleuse » est également considérée
comme une faute passible du retrait de leur statut, dans la mesure où elle est susceptible d'attirer des sanctions de la part des autorités turques sur l'ensemble du corps
de la nation. Le 6 octobre 1700, le consul de Larnace François Luce informe par
exemple la Chambre de commerce du retrait de la protection d'un courtier maronite « pris plusieurs fois par les Turcs » en plein « commerce avec une femme du
pays », après qu'il ait transformé son domicile en « cabaret et bordel » fréquenté
par des « femmes de mauvaise vie » et « tous les patrons, caravanaires et passagers
vagabons » de l'échelle221. La protection peut également être retirée lorsque le protégé détourne son statut et les prérogatives qui y sont attachés pour exercer une
concurrence commerciale à caractère déloyal envers le corps des négociants français
qu'il est censé servir222. Cette dernière cause de retrait fait cependant toujours l'objet de discussions au sein de l'assemblée des marchands sur l'opportunité d'une telle
sanction. Même si une concurrence déloyale est démontrée, s'il s'avère qu'en pratique le retrait de la protection engendrerait plus d'inconvénients que de bénéfices
pour la nation, il est généralement abandonné223.
76.  Les sources juridiques d'Ancien Régime ne déterminent pas davantage
l'autorité compétente pour retirer la protection et seule une étude de la pratique
218. Mémoire sur le commerce et les consulats du Levant, 16 mars 1748 (Paris, AN, AE, BIII 238,
pièce 6, fol. 70).
219. Lettre de Ferriol, ambassadeur à la Porte, à Pontchartrain, 10 mai 1705 : « À l'égard de son
fils il pouvoit demeurer sous la protection pourvu qu'il ne fut pas mêlé dans la banqueroute du père
et qu'il n'eut point d'autre faute personnelle » (éd. cit., t. IV, p. 264). En l'espèce, la protection est aussi
retirée au fils quelques jours plus tard, en raison de sa participation à la faillite du père, voir la Lettre
de François Luce, consul à Larnaca, aux députés de la Chambre de commerce de Marseille, 27 juin 1705
(éd. A. Pouradier Duteil-Loizidou, Consulat de France à Larnaca..., op. cit., t. IV, p. 280).
220. Voir par exemple le cas du retrait de la protection, pour cause de faillite, d'un drogman
barataire relaté dans la Lettre de Ferriol, ambassadeur à la Porte, à Pontchartrain, 10  mai 1705
(éd. A. Pouradier Duteil-Loizidou, Consulat de France à Larnaca..., op. cit., t. IV, p. 264).
221. Cet épisode est notamment relaté dans une Lettre de François Luce, consul à Larnaca, aux
députés de la Chambre de commerce de Marseille, 6 octobre 1700 (éd. A. Pouradier Duteil-Loizidou,
Consulat de France à Larnaca..., op. cit., t. III, p. 81-83).
222. Voir, par exemple, la Délibération de la Chambre de commerce de Marseille, 19 novembre
1711 (éd.  J.  Weyl, « Les juifs protégés français aux échelles du Levant... », loc.  cit., t.  12,
p. 277-278).
223. Voir, par exemple, la Lettre de M. le comte de Morville, ministre de la marine, à Messieurs les
eschevins et députez de la Chambre de commerce de Marseille, 12 mai 1723 (éd. J. Weyl, « Les juifs
protégés français aux échelles du Levant... », loc. cit., t. 13, p. 285-286). Pour une synthèse sur les
discussions entourant le retrait de la protection des censaux juifs, voir l'article de J.-P. Farganel, « Les
Orientaux vus par les marchands français établis dans les échelles du Levant (XVIIe-XVIIIe siècles) »,
Méditerranée, mer ouverte. Actes du colloque de Marseille (21- 23 septembre 1995), Malta, International
Foundation, 1997, t. I, p. 430-434.

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