Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 38 - Les échelles du Levant et de Barbarie - 62

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LES ÉCHELLES DU LEVANT ET DE BARBARIE

A. LES MARCHANDISES EXCLUES DU COMMERCE
PAR LE DROIT OTTOMAN
87.  La principale défense de sortie du territoire concerne les céréales (1),
cependant une multitude d'autres biens est visée par des prohibitions similaires (2).
1.	 L'embargo ottoman sur les céréales
88.  L'exportation en Chrétienté de céréales produites sur le territoire ottoman est par principe défendue. Les sources juridiques de cet embargo sont incertaines pour les marchands français de l'époque et ne constituent d'ailleurs pas le
cœur de leurs préoccupations. La correspondance administrative évoque certaines
causes politiques comme le risque d'émeutes dans la population citadine du fait
de hausses des prix ou de pénuries23. Plusieurs mémoires laissent également penser que le droit musulman, notamment certaines interprétations du coran24, serait
à l'origine de cet interdit25. Il est néanmoins plus probable que les défenses auxquelles se heurtent les négociants français ne soient qu'une survivance de la minutieuse réglementation sur la circulation des grains prévue par le droit byzantin et
conservée à l'intérieur de l'Empire ottoman après la conquête turque. En vertu de
ces règles, il est en effet interdit de transporter des cargaisons de céréales en dehors
de leur province de production sans autorisation préalable du sultan26.
89.  Les capitulations de 1604 fixent des limites aux peines arbitraires, parfois
très lourdes, qui sanctionnaient jusqu'à présent la contrebande de céréales : désormais, seule la cargaison de grains peut être confisquée27. Au début du xviiie siècle,
devant la généralisation de l'exportation illicite des grains, la Porte menace toutefois
l'ambassadeur de réduire en esclavage les équipages des navires français qui se livrent
à ce commerce28. Les réseaux diplomatiques s'avèrent toutefois suffisamment
influents, à cette époque, pour obtenir la libération des Français ainsi capturés29.
23. Lettre de Villeneuve, 28 avril 1729 (Paris, AN, AE, BI 399, fol. 1v-2v). Voir aussi Y. Debbasch,
La nation française en Tunisie..., op. cit., p. 359-360.
24. Sur l'interprétation du coran comme source de droit, voir L.  Milliot et F.-P.  Blanc,
Introduction à l'étude du droit musulman, Paris, Dalloz, 2001, p. 93-104.
25. Mémoire sur les difficultés qui se peuvent rencontrer à enlever du bled des parties du Levant et de tous
les États du grand seigneur, février 1694 : « Il est constant que de toujours il y a eu des grandes difficultez de
sortir du bled et du ris du Levant soit par la politique d'Estat que par la raison principalle de la religion parce
que le mulfety quy est leur pontiffe deffand comme un point de sa religion de donner du bled aux Chestiens »
(Paris, AN, AE, BIII 235, pièce 54, fol. 1) ; Mémoire au sujet de la traite des bleds dans les États du grand
seigneur, 1706 : « Les Turcs qui trouvent dans l'alcoran tout ce qu'ils y veuillent chercher, prétendent que
leur loy ne leur permet en aucune manière d'accorder aux Chrestiens le transport des blez hors de leurs
États. [...] Ainsy il arrive souvent qu'après avoir employé plusieurs mois à négotier un chargement, nos
bastimens sont obligez de se retirer sans rien faire » (Paris, AN, AE, BIII 236, pièce 90, fol. 1-1v).
26. L. Güçer, « Le commerce intérieur des céréales dans l'Empire ottoman pendant la seconde
moitié du XVIe siècle », Iktisat Fakültesi Mecmuast, t. 11, 1953, p. 153-194 ; R. Mantran, Istanbul
dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Essai d'histoire intitutionnelle, économique et sociale, Paris,
Adrien Maisonneuve, 1962, p.  187-192 ; M.  Alexandrescu-Dersca, « Quelques données sur le
ravitaillement de Constantinople au XVIe siècle », Actes du premier congrès international des études
balkaniques et sud-est européennes (Sofia, 26 août-1er septembre 1966), Sofia, Académie bulgare des
sciences, 1969, t. III, p. 661-672.
27. Capitulations d'Ahmed Ier, 20 mai 1604, art. 14 (éd. cit., p. 420-421).
28. Mémoire des moyens qui peuvent se mettre en pratique pour entretenir le commerce des bleds
qui se tirent de Cap Nègre en faveur de sa majesté et du peuple, sans establir de compagnies comme il a
esté fait depuis son introduction, [1718] (Paris, AN, AE, BIII 236, pièce 1, fol. 2v-3).
29. Copie du commandement du grand seigneur adressé aux disdars des Dardanelles,
15 février 1729 : « Le marquis de Villeneuve [...] auroit fait représenter un mémorial à mon Sublime

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