Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 38 - Les échelles du Levant et de Barbarie - 63

Le régime de la protection internationale du commerce franco-ottoman

51

90.  Cet embargo s'avère très préjudiciable à la ville de Marseille et, plus largement, à toute la Provence. Le Midi de la France demeure dépendant des importations de blé en raison de l'important déficit de la région en termes de production
céréalière30. Le blé est au contraire relativement abondant et bon marché en
Afrique du nord et dans le Levant. Pour ces raisons, les marchands français sollicitent fréquemment des autorisations exceptionnelles d'exportation, par le biais
des réseaux consulaires31. Lors de la crise frumentaire qui frappe l'Europe dans
les années 1551 et 1552, l'ambassadeur français obtient par exemple un commandement du sultan autorisant l'extraction de plus de cent mille quintaux de blé de
l'échelle de Koloz32. L'autorité de ces commandements est néanmoins variable en
fonction de la proximité de l'échelle avec Constantinople :
Il y a certains endroits que le comandement n'opère pas et il faut que
l'intrigue le fasse, comme sont les eschelles les plus éloignées de la Porte et en
des endroits des plus dézerts. Néanmoins, les commandemants que l'on peut
obtenir de la Porte sont toujours bons et nécessaires, parce qu'y produisent
cet effet que les endroits qu'y sont les plus proches de la Porte où l'on peut
charger quelque bled sont forcés d'obéyr par la proximité du grand seigneur
et ils servent aux endroits plus éloignez de prétexte au bacha et aux cadis quy
y sont establis pour pouvoir, quand on les a gaigné par intrigue, prétextes au
peuple et sur le fet de la religion, [exécuter] les ordres de la Porte33.
91.  Dans ces provinces excentrées où l'autorité impériale est faible, notamment dans les régences barbaresques, les autorités locales s'accaparent dès la fin
du xviie siècle la capacité de délivrer seules des autorisations d'exportation34. La
corruption des fonctionnaires est alors particulièrement répandue dans ces
Conseil par lequel il m'informeroit que le capitaine d'une barque nommé Cornant, ayant chargé son
bastiment d'un quantité de bled et l'ayant voulu passer aux Dardanelles, l'on s'en seroit saisy, à causes
que cette denrée est deffendue, sur quoy nous ayant été requis, vu l'amitié qui règnes entre les deux
nations, de faire restituer le susdit bled ; et en considération de l'ambassadeur de France qui réside
actuellement à notre Porte de félicité aurions, pour cette fois cy, [accédé] à sa demande, à condition
pourtant qu'à l'avenir, s'il se rencontre des bâtimens chargés de pareilles denrées, l'on confisque le
chargement conformement à l'article des capitulations » (Paris, AN, AE, BI 399, fol. 1-2).
30. R. Romano, Commerce et prix du blé à Marseille au XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1956,
p. 61-69 ; M. Aymard, Venise, Raguse et le commerce du blé pendant la seconde moitié du XVIe siècle,
Paris, SEVPEN, 1966, p. 125-140 ; B. Simon, « Le blé et les rapports vénéto-ottomans au XVIe siècle »,
Contributions à l'histoire économique et sociale de l'Empire ottoman, éd. J.‑L. Bacqué-Grammont et
P. Dumont, Leuven, Peeters, 1983, p. 267-286 ; C. Badet, « La crise de 1709 à Marseille. Les problèmes
de ravitaillement en blé (1709-1710) », Les céréales en Méditerranée. Histoire, anthropologie, économie.
Actes de la table ronde de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Marseille et de l'Université de
Provence (Institut d'histoire des pays d'Outre Mer), novembre  1989, éd.  J.-L.  Miège, Paris, CNRS,
1994, p. 69-82 ; J.-P. Farganel, « Aléas du commerce d'exportation des céréales et relations entre les
Levantins et les Français à Acre et Seyde (1650-1750) », Les céréales en Méditerranée..., op.  cit.,
p. 86-90.
31. Voir, par exemple, la Relation du voyage du sieur Jean Dioudet de Marseille pour le Levant
pour faire des achapts de bled pour les armées du roy, 1678 (Paris, AN, AE, BIII 234, pièce 28, fol. 1v) ;
Mémoire particulier sur le commerce général des eschelles du Levant, 5  juin  1707 (Paris, AN, AE,
BIII 236, pièce 92, fol. 3v).
32. Ordre à l'aga des azab de Rûmeli, Ibrahim, 9  février 1552 (éd.  G.  Veinstein, « Un achat
français de blé dans l'Empire ottoman... », loc.  cit., p.  33) ; Ordre à Ibrahime Çavus, 7  mars 1552
(éd. G. Veinstein, « Un achat français de blé dans l'Empire ottoman... », loc. cit., p. 35-36).
33. Mémoire sur les difficultés qui se peuvent rencontrer à enlever du bled des parties du Levant et
de tous les États du grand seigneur, février 1694 (Paris, AN, AE, BIII 235, pièce 54, fol. 1).
34. Mémoire sur les difficultés qui se peuvent rencontrer à enlever du bled des parties du Levant et
de tous les États du grand seigneur, février  1694 (Paris, AN, AE, BIII  235, pièce  54, fol.  2v) ;

978-2-275-08394-0__DOCFILE__corpus.indd 51

15/12/2020 11:56:43
Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 38 - Les échelles du Levant et de Barbarie

Table des matières de la publication Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 38 - Les échelles du Levant et de Barbarie
