Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 38 - Les échelles du Levant et de Barbarie - 68

LES ÉCHELLES DU LEVANT ET DE BARBARIE

d'apprendre aux barbares à construire des navires61 et mettre en place un contrôle
pour éviter que des marchandises prohibées ne soient transportées à l'étranger62.
Au milieu du ve siècle, une constitution de l'empereur Marcien (450-457) étend
enfin la prohibition à tous les peuples barbares, quelles que soient leurs relations
avec Rome63.
102. Au lendemain de la redécouverte des compilations de Justinien dans
l'Occident médiéval, ces dispositions pénètrent progressivement le droit canonique. L'étranger à l'Empire - le barbare - est désormais assimilé à l'étranger à
la Respublica christiana - l'infidèle -64. Le canon 24 du IIIe concile du Latran65 de
1179 circule dans la Collectio Bambergensis (13), rédigée en 1185, et dans d'autres
recueils qui lui sont attachés, comme la Collectio Casselana (12, 14), élaborée sous
le pontificat de Lucius III (1185-1187), le remaniement bolonais de la Collectio
Bambergensis rédigé par Bernard de Pavie († 1213), la Collectio Lipsiensis (14),
ainsi que la Compilatio Ia qu'il compose vers 1192. Il est enfin inséré dans les
Décrétales de Grégoire IX au titre De Judæis, Sarracenis, et eorum servis66. Ce
canon défend aux Chrétiens, sous peine d'excommunication, de porter aux
-Sarrasins des armes, du fer ou du bois destiné à la construction de galères, et de
servir comme capitaine ou pilote sur leurs navires. Ces défenses sont étendues en
1215 à la vente de bateaux et de machines de guerre par le canon 71 du IVe concile
du Latran67, inséré ensuite dans le Liber extra68, et, par la suite, à toute une série
de marchandises pouvant avoir une application militaire : étoupe, poix, cordes,
chevaux, mules, froment et victuailles diverses69.
103. Cet héritage romain est à nouveau repris à l'Époque moderne par la
législation pontificale. L'interdiction des ventes d'armes aux Musulmans est
expressément visée par les fameuses bulles In Cœna Domini70. Ces bulles, prononcées solennellement chaque année à l'occasion du Jeudi saint, énoncent les
61. C., 9, 47, 25 : « His, qui conficiendi naves incognitam ante peritiam barbaris tradiderint,
capitale supplicium proponi decernimus [...] ».
62. C., 12, 44, 1 : « Saluberrima sanctione censemus, ne merces illicitae ad nationes barbaras
deferantur. et quaecumque naves ex quolibet portu seu litore dimittuntur, nullam concussionem vel
damna sustineant : ita tamen, ut earum naucleri deponant, in quam provinciam ituri sunt, ut hoc
manifestato nulla contra eos postea indignatio seu concussio procedat ».
63. C., 4, 41, 2, pr.-1 : « Nemo alienigenis barbaris cujuscunque gentis ad hane urbem sacratissimam
sub legationis specie, vel sub quocumque alio colore venientibus, aut in diversis aliis civitatibus vel locis,
loricas, seuta et arcus, sagittas et spathas et gladios, vel alterius cujuscunque generis arma audeat
venundare ; nulla prorsus iisdem tela, nihil penitus ferri vel facti jam, vel adhuc infecti, ab aliquo
distrahatur. Pernicio sum namque romano imperio, et proditioni proximum est, barbaros, quos indigere
convenit, telis eos, ut validiores reddantur instruere. Si quis autem aliquod armorum genus quarumeunque
nationum barbaris alienigenis contre pietatis nostre interdica ubicunque vendiderit ; bona ejus universa
protinus fisco addici, ipsum quoque capitalem pœnam subire decernimus ».
64. Sur la réception de ces dispositions romaines dans le droit canonique médiéval, voir
G. Vismara, « Limitazioni al commercio internazionale nell'impero romano e nella comunità cristiana
medievale », Scritti di storia giuridica, Milano, Dott. A. Giuffrè, 1989, t. VII, p. 414-417 ;
G. Poumarède, Pour en finir avec la croisade..., op. cit., p. 310-313.
65. Concilium Lateranense III, c. 24 (éd. G. Alberigo, Les conciles œcuméniques, Paris, éditions
du Cerf, 1994, t. II/1, p. 480).
66. X., 5, 6, 6 [= Comp. Ia, 5, 5, 6].
67. Concilium Lateranense IV, c. 71 (éd. G. Alberigo, Les conciles œcuméniques, op. cit., t. II/1,
p. 574).
68. X, 5, 6, 17.
69. G. Vismara, « Limitazioni al commercio internazionale... », loc. cit., p. 421.
70. G. Poumarède, Pour en finir avec la croisade..., op. cit., p. 314-318.

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