Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 38 - Les échelles du Levant et de Barbarie - 72

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LES ÉCHELLES DU LEVANT ET DE BARBARIE

l'-embargo. Les armes obsolètes, de collection ou d'ornement ne sont pas visées
par les ordonnances et relèvent du régime de droit commun99. Cette nuance permet notamment au consul et au corps de la nation d'offrir ponctuellement des
armes d'apparat aux personnalités influentes de l'échelle100.
111.  Il existe toutefois un profond fossé entre le droit et la pratique. Faisant
fi des défenses royales, nombreux sont les négociants marseillais qui exportent des
armes à destination de l'Empire ottoman101. Le plus souvent, lorsque l'affaire est
découverte, les consuls se contentent de confisquer la marchandise sans engager
plus de poursuites102. En 1633, l'inspecteur du commerce, après avoir décrit toute
l'étendue de la contrebande d'armes à destination des régences barbaresques, préconise dans son rapport d'inspection de punir les auteurs :
Il serait expédient de [...] châtier toute contrebande qu'on fait encore
pour la Barbarie et les corsaires, où l'on porte ordinairement des rames, des
mâts et toutes sortes de bois à bâtir vaisseaux, cordes, toiles à faire voiles,
poudre, plomb et autres munitions de guerre, par moyen desquelles les corsaires désolent les Chrétiens et plus que tout autre les Français103.
112.  Ce rapport demeure néanmoins lettre morte. Les ambassadeurs à la
Porte eux-mêmes et les marchands n'ont même de cesse de se plaindre des avantages
diplomatiques et commerciaux qu'obtiennent les Anglais104 et les H
- ollandais105
grâce à leurs régulières livraisons d'armes au sultan. Ces derniers ne sont en effet
pas soumis à l'autorité pontificale et n'entrent ainsi pas dans le champ d'application
des bulles In Cœna Domini106. Le roi de France n'hésite toutefois pas à fournir des
99. J.-N.  Guyot, v° Armes, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle,
canonique et bénéficiale (éd. Paris, Visse, 1784, t. I, p. 595b).
100. Voir, par exemple, le fusil et les deux pistolets offerts par le corps de la nation de La Canée
au kiaya, c'est-à-dire au lieutenant, de Candie dans le Procès verbal de l'assemblée de la nation de
La Canée, 23 avril 1687 (Nantes, CADN, 328PO, série 1, 190).
101. De telles ventes d'armes françaises sont notamment mentionnées à Tunis par L. d'Arvieux,
Mémoires (éd. cit., t. VI, p. 22).
102. Par exemple, voir la Lettre de Lemaire, consul d'Alger, à messieurs les échevins et députés du
commerce de Marseille, 20 mai 1692 (éd. H.-D. de Grammont, Correspondance des consuls d'Alger
(1690-1742), Alger, Adolphe Jourdan, 1890, p. 21).
103. Voyage et inspection de M. de Séguiran sur les côtes de Provence, 1633 (éd.  E.  Sue,
Correspondance de Henri d'Escoubleau de Sourdis, Paris, Crapelet, 1839, t. III, p. 231).
104. Lettre de Germigny, ambassadeur à la Porte, à Henri III, 17 mai 1580 : « Ce qui a donné le plus
en faveur audit Anglois envers ces gens icy est qu'il a apporté grande quantité d'aciers et pièces d'images
rompues d'éraim et loton pour fondre artillerie et fait promesse secrettement d'y apporter d'avantaige pour
l'advenir, qui est ung contrebande odieux et pernicieux à toutte la Chrestienté » (Paris, BNF, ms. fr., 16143,
fol. 87v). Sur ce point, voir également le Mémoire concernant le commerce de Levant, 1669 (Paris, AN, AE,
BIII 234, pièce 16, fol. 3) ; A. Galland, Journal (éd. C. Schefer, Journal d'Antoine Galland pendant son
séjour à Constantinople [1672-1673], Paris, Ernest Leroux, 1881, t. I, p. 23-24) ; Très humbles remontrances
à Monseigneur de Pontchartrain pour le commerce du Levant, 18  février 1699 (Paris, AN, AE, BIII  235,
pièce 10, fol. 6) ; J.-B. Tollot, Nouveau voyage fait au Levant ès années 1731 et 1732 (éd. cit., p. 70).
105. Lettre du baron de Sancy, ambassadeur à la Porte au roi, 36 mars 1612 : « [L'ambassadeur
hollandais] est estonné d'y trouver tans de difficultez mais il espère, non sans apparence, de les
surmonter à force de présens et d'offres très avantageuses au secours du grand seigneur [et en]
promettant d'aportter tant de poudre que le grand seigneur en aura de besoing, or ilz en font icy
grande estime pour ce qu'en toute la Turquie, il ne s'en fait un grain de bonne. Ilz s'offrent encore à
remplir tous ses pays d'acier, de lames, d'arquebuses et toutes armes nécessaires pour la guerre. Toutes
ces choses ne leur sont point fournies par les autres Chrestiens » (Paris, BNF, ms. fr., 16145, fol. 102).
106. Sur ce point, voir notamment G. Ágoston, « Merces prohibitae : the Anglo-Ottoman Trade
in War Materials and the Dependence Theory », Oriente moderno, 2001/1 [The Ottomans and the Sea],
p. 177-192.

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