Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 38 - Les échelles du Levant et de Barbarie - 83

Le régime de la protection internationale du commerce franco-ottoman

corsaires de « visiter, prendre, ny toucher aux personnes, vaisseaux, robbes et marchandises ny autres choses leur appartenant »169. Les contrevenants encourent la
peine de mort par décapitation170. Pour renforcer ces stipulations, les traités instaurent une forme de serment promissoire : les capitaines ottomans, avant de
prendre la mer, doivent s'engager à ne commettre aucun acte d'hostilité contre les
navires battant pavillon français171. De même, certains traités prévoient que des
certificats seront délivrés par le consul français aux corsaires pour permettre leur
identification en mer172. Si malgré ces mesures, des Français étaient capturés par
des corsaires, les traités ordonnent leur remise en liberté sans condition, ainsi que
la restitution de leurs navires et cargaisons173. Quelques inflexions sont néanmoins
apportées au régime capitulaire en matière de représailles : en cas d'acte de piraterie, les parties aux traités s'engagent à présenter une demande en réparation devant
la justice turque avant tout recours à la force174. Pour garantir l'application de ces
stipulations, des otages sont envoyés à Marseille par les régences, tandis que le
consul répond personnellement des actes de ses nationaux dans les échelles175.
135. En pratique, les capitulations et les traités conclus avec les régences n'ont
que très peu d'effets176. Lors d'une étape à Rhodes en 1624, le consul d'Alep, Louis
Gédoyn, dénombre par exemple près de cent cinquante esclaves français, enlevés
par des corsaires barbaresques et retenus sur l'île177. Au xviie siècle, à Alger, Tunis
et Tripoli de Barbarie, se développent à la vue de tous de véritables marchés aux
esclaves, où les Français sont vendus avec l'assentiment des gouverneurs :
Dès qu'un vaisseau est arrivé de course, après avoir fait prise, on
débarque les esclaves et on les conduit à la maison du roi. [...] On y trouve
des délats ou courtiers qui prennent les esclaves par la main, les promènent
d'un bout à l'autre en criant tout haut le prix que l'on en offre. [...] Les François sont ordinairement ceux que l'on vend à meilleur marché parce qu'outre
qu'ils se font toujours plus pauvres qu'ils ne sont en effet, les patrons
craignent toujours que le roi ne les retire par quelque traité et qu'ils ne soient
obligez de les rendre pour le prix de l'achat178.
136. Le mémoire relatant la mission du sieur de Bricard à Tunis conserve un
exemple édifiant d'inexécution des traités bilatéraux. En 1661, Louis XIV envoie
le commissaire de Bricard auprès du dey chargé d'exiger l'application des traités.
169. Traité entre le royaume de France et la régence d'Alger, 21 mars 1619 (éd. cit., p. 13). On
trouve également des dispositions similaires dans tous les traités conclus entre la France et Alger,
Tunis ou Tripoli de Barbarie.
170. Traité entre le royaume de France et la régence d'Alger, 19 septembre 1628 (éd. cit., p. 19).
171. Voir, par exemple, le Traité entre le royaume de France et la régence d'Alger, 21 mars 1619
(éd. cit., p. 13).
172. Traité entre le royaume de France et la régence d'Alger, 17 mai 1666, art. 2 (éd. cit., p. 33).
173. Traité entre le royaume de France et la régence d'Alger, 21 mars 1619 (éd. cit., p. 14).
174. Traité entre le royaume de France et la régence d'Alger, 21 mars 1619 (éd. cit., p. 14-15).
175. Traité entre le royaume de France et la régence d'Alger, 21 mars 1619 (éd. cit., p. 14).
176.
Sur ce point, voir notamment G. Calafat, « Les interprètes de la diplomatie en
Méditerranée... », loc. cit., p. 389 et s.
177. L. Gédoyn, Journal : « Les esclaves déchainés, à cause de la nature de l'île qui les empêche
de fuir, étaient la plupart autour de moi, conjurant le ciel, la terre, les parents et amis d'avoir pitié de
leur misérable condition, entre lesquels je vis au moins cent cinquante français qui me chargèrent de
leurs noms pour en faire passer l'avis en Chrétienté, ce que je fis très soigneusement sans que ma
diligence leur put beaucoup servir » (éd. A. Boppe, Journal et correspondance de Gédoyn « le Turc »,
consul de France à Alep 1623-1625, Paris, Plon-Nourrit, 1909, p. 155).
178. L. d'Arvieux, Mémoires (éd. cit., t. V, p. 266-267).

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