Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 36 - Les sociétés en nom collectif au XVIIIe siècle - 24

LES SOCIÉTÉS EN NOM COLLECTIF AU XVIIIe SIÈCLE

l'émulation »51 Cette liberté s'accompagne du développement de la consommation et de la concurrence : « Une fabrique ne peut s'accroître de manière utile que
par une augmentation de la consommation, l'on s'efforce de persuader au conseil
que la multiplication du nombre de marchands sera un moyen assuré de faire
diminuer les prix des marchandises, d'empêcher les fabriques étrangères de soutenir la concurrence avec les nôtres et de procurer par-là cette augmentation de
consommation52 ». Cette prise de conscience amène à la critique des privilèges en
ouvrant de nouvelles perspectives : « Les privilèges empêchent la concurrence et
enchaînent l'industrie [...]. Quand on est riche d'une production il faut en multiplier la consommation. Le meilleur moyen de la multiplier est le bon marché
qu'on ne peut obtenir que par la concurrence et accorder des privilèges, c'est
vouloir la renchérir et la diminuer53 » Si l'on ajoute le fait que cette concurrence
est internationale avec une forte rivalité commerciale et industrielle entre la France
et l'Angleterre, il n'est rien d'indifférent pour les acteurs du commerce54.
13. Dans ce monde qui change, la société en nom collectif est confrontée à
trois problématiques. La première porte sur son identification, la deuxième sur son
évolution et la troisième sur sa pérennité. La question de l'identification de la société
en nom collectif peut paraître saugrenue alors que cette forme de société prédomine
à cette époque et que sa propre identité juridique ne semble pas souffrir d'interrogation. Ce serait oublier qu'elle doit faire face à d'autres types de société de personnes
sans qu'un cloisonnement étanche lui permette de s'en distinguer. Seule société à
détenir une identité incontestable du fait de son antériorité et de sa notoriété, elle
s'affiche publiquement alors que les autres sociétés se développent à couvert. La
commandite en est l'exemple le plus manifeste. Fondée sur un système singulier où
les commanditaires demeurent dans l'ombre et où un ou plusieurs associés jouent
le rôle d'associé en nom collectif, la commandite usurpe l'identité de la première. En
effet, tant que les commanditaires n'ont pas dévoilé leur présence, elle a vis-à-vis des
tiers toutes les apparences d'une société en nom collectif. De leur côté, les sociétés
verbales et les sociétés dites anonymes essaient d'échapper à toute reconnaissance ;
mais lorsqu'elles sont découvertes, elles sont le plus souvent requalifiées de sociétés
en nom collectif. Il s'y ajoute le fait que les associés, y compris ceux de la société en
nom collectif, ne mentionnent que très rarement dans les actes la catégorie juridique
à laquelle ils appartiennent. Dans cet imbroglio, l'identification d'une société est
relative. Les situations qui opposent à cet égard la société en nom collectif et la
commandite en offrent l'illustration. Paradoxalement, elles sont aussi celles qui
À propos de la prospérité de la ville de Tyr et des enseignements qu'il convient d'en tirer. L. de
Rouvroy, duc de Saint-Simon, Mémoires, Paris, La Pléiade, t. VI, 1716-1718, 1986 (référence
édition de 1829), p. 981. Mémoire en faveur de la liberté du commerce (1717).
51. Extrait de l'avis des députés du commerce du 25 juillet 1788. (AN F12 724).
52. Observations des fabricants de Lyon sur le projet d'arrêt qui tend à donner à toutes personnes la
liberté de contracter des sociétés en commandite dans leurs manufactures. Mémoire adressé par le
député de la fabrique à l'Intendant de Lyon avec demande d'accord pour les envoyer au prévôt. Date de
l'envoi 22 juillet 1755. [Cinquième motif] « in Règlement des manufactures. » (AN F12 657).
53. Avis des députés du commerce du 25 juillet 1788 sur « diverses demandes des entrepreneurs
des manufactures de porcelaines de la Reine, de Monsieur, de M. le Comte d'Artois et de M. le Duc
d'Angoulême ». Extrait de l'avis des députés. (AN F12 724).
54. F. Bayard et P. Guignet, op. cit., p. 176. « L'expérience de libéralisation des échanges avec
l'Angleterre imposée aux entrepreneurs français par le traité de 1786 est de ce point de vue hautement
révélatrice : en 1788, les exportations anglaises en France sont plus de deux fois supérieures aux
exportations françaises en Angleterre. » Voir aussi : Histoire générale des civilisations, M. Crouzet dir,
R. Mousnier, E. Labrousse, t. V, Part 1, Liv II, ch 3, p. 119.

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