Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 36 - Les sociétés en nom collectif au XVIIIe siècle - 44

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LES SOCIÉTÉS EN NOM COLLECTIF AU XVIIIe SIÈCLE

l'ordonnance du commerce de 1673 privait, semble-t-il, les créanciers d'un moyen
d'action. Il restait cependant que cette preuve par témoins était largement utilisée
dans la pratique car elle aurait été la « règle générale » dans le commerce57. Lors
de litiges, il était d'ailleurs habituel de recourir à des témoignages ou à des indices
au bénéfice de tous ceux qu'une application stricte de l'ordonnance du commerce
aurait pu léser58. Cette approche prévalait d'ailleurs chez les arbitres  : « Avons
reconnu que de fait ledit Jacques Hervé était de société dans tous les fruits que le
dit Jean-Jacques a achetés, ledit Jean Jacques n'ayant point pu prouver le contraire
et nous ayant prouvé de par ses mauvaises réponses qu'il ne cherchait qu'à éluder
sa société qui nous a été certifiés par François Laville, Jean Berriot [...] tous
ouvriers desdits Jean Jacques [...] lesquels nous ont dit qu'ils avaient travaillé
pour les deux indistinctement et qu'ils avaient reconnu pour leurs maîtres communs lesdits Jean Jacques et Jacques Hervé étant appuyé leurs témoignages du
serment visé en pareil cas59 [...] »
39.  L'ordonnance du commerce de 1673 voulait également que les noms des
associés soient connus du public60. La société anonyme ne répondait pas bien
entendu à cette exigence. Qu'à cela ne tienne, les auteurs, à commencer par Savary,
donnaient à ces sociétés leurs lettres de créances en les qualifiant de troisième
espèce de société61. Ils vont même plus loin en précisant que non seulement l'absence d'écrit n'entraîne pas leur nullité mais qu'obéissant à des règles qui leur sont
propres, elles ne sont pas tenues par celles fixées par l'ordonnance du commerce
de 1673 dès lors qu'elles n'y sont pas nommées62. Ce raisonnement spécieux permettait ainsi d'échapper aux sanctions auxquelles elles auraient été autrement
par leur caractère occulte [...] L'ordonnance ne les interdit pas, mais il est certain que le législateur ne
les encourageait pas [...] les droits des créanciers se trouvaient à la merci de la bonne foi ou de la
collusion de ces associés dont ils ignoraient l'existence. »
57. Archives de la juridiction consulaire de Paris. Doc n° 5512, s d, circa 1743  : « Ce seroit
renverser le commerce, & détruire la bonne foi, qui en doit être l'âme et le principe, que de s'en tenir à
la dénégation d'un marchand infidèle qui voudroit se prévaloir du défaut d'écriture pour s'appliquer
des marchandises qui proviendroient de fonds communs ; en un mot la règle est générale, que la preuve
testimoniale est reçue de toute convention en matière de commerce. » (AP D1B6 34).
58. Dans le parère XL de Savary (1682, Veuves Hamby), la transgression des prescriptions de
l'ordonnance du commerce en matière de témoignages ne semble pas soulever de difficultés. Les
arrangements amiables étaient également possibles..
59. Mémoire d'arbitre du 25 janvier 1762. Hervé, Jean-Jacques. Marchand de fruits. (AP D6B6 6).
60. Ordonnance du commerce de 1673, op cit, tit IV, art 3 : « Aucun extrait de société ne sera
enregistré, s'il n'est signé, [...] des associés, [...] »
61.  J. Savary, op cit, Part 2, Liv 1, ch 1, p. 17 : « Il reste maintenant d'expliquer la troisième sorte
de société que l'on appelle anonyme [...] » J.-N. Guyot Répertoire universel et raisonné de jurisprudence,
Paris, 1784-1785. t  16, v° société, p.  327b-328a  : « On distingue dans le commerce trois sortes de
société, savoir, les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite, & les sociétés anonymes &
inconnues [...] Une société anonyme ou inconnue, qu'on appelle aussi compte en participation, est celle
qui a lieu entre deux personnes qui conviennent d'avoir part dans une négociation que doit faire l'une
d'elles en son nom seul [...] C'est une société anonyme, dans laquelle vous êtes le seul associé connu,
& votre ami l'associé inconnu. »
62. Archives de la juridiction consulaire de Paris, preuve par témoins des sociétés anonymes.
Mémoire pour Claude Maron, appelant contre Pierre Bonne, intimé. Doc n° 5512, s d, circa 1743 :
« [...] il y a une troisième espèce de société qu'on appelle anonyme, qui n'a pour objet qu'une seule
entreprise, & qui ne se fait sous aucun nom ; chacun des associés travaille de son côté sous son nom
particulier, pour se rendre ensuite raison l'un à l'autre des profits & des pertes qu'ils ont fait dans leur
négociation. Savary, Toubeau, & tous ceux qui ont traité les matières de commerce ont distingué ces
trois sortes de sociétés comme totalement différentes les unes des autres, & sujettes à des loix & à des
règles qui leur sont propres. L'ordonnance oblige de rédiger par écrit les sociétés générales & en

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