Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 36 - Les sociétés en nom collectif au XVIIIe siècle - 89

les acteurs

intérêt à être un associé en nom collectif dans le cadre d'une société qui sera selon
le cas une société en nom collectif ou une commandite ou de tirer parti des deux ?
On en vient à mêler les genres16. De son côté, le marchand aurait tendance à retenir
plutôt la forme d'une société en nom collectif mieux adaptée à la nature de son
commerce. Son crédit repose en effet d'abord sur sa propre personne et sur celle de
son associé. En fait, les deux types de sociétés se côtoient et les choix des associés
sont guidés par le souci de servir au mieux leurs intérêts. Les négociants ne sont
pas d'ailleurs absents des sociétés en nom collectif car elles permettent un partage
sans ambiguïté des responsabilités entre associés. Différents exemples en attestent17.
B. DES LIENS DÉPASSANT LES PRÉJUGÉS
93. Les marchands et les négociants ont en outre l'habitude de travailler étroitement ensemble. Les premiers recourent aux seconds pour acheter en gros ce dont ils
ont besoin et réaliser la marge qui fera leur profit. Ils sont aussi leurs obligés pour
obtenir des paiements étalés18. La profession n'est pas d'ailleurs cloisonnée. Le commerce en détail et en gros peuvent être exercés concurremment. Des marchands se
réclament ainsi d'exercer le commerce en gros et en détail que ce soit à la fin du xvie
siècle ou un peu moins de deux siècles plus tard19. Bien avant la Révolution, un texte
rédigé par le puissant Corps des marchands merciers de Paris dénonce le caractère
artificiel de la hiérarchie établie entre le commerce de gros et de détail : « [...] On
appelle commerce en général l'usage des ventes & des échanges, pour faire passer à
chacun les choses dont il a besoin. Cette définition, comme on le voit, ne convient pas
moins au commerce en détail, qu'au commerce en gros ; & elle ne permet d'autre
16. P Léon et C. Carrière en donnent notamment des illustrations, t 2, Part 2, ch 1, § 4., p. 208209 : « [...] le développement important des sociétés en commandite simple ne vient pas modifier les
structures de ce capitalisme au sein duquel la confiance et le crédit s'établissent toujours « intuitu
personae ». Nous restons ici dans le domaine des personnes : on lance un fils, un parent, un subordonné
qui prête son nom. Pourquoi des commandites ? Est-ce volonté d'anonymat de la part du
commanditaire ? C'est assez improbable, dans le commerce du moins : en effet pourquoi des négociants,
pénétrés de la qualité de leur activité, et qui l'affirment hautement dans leurs affaires propres, se
dissimuleraient-ils ? D'ailleurs le commanditaire n'est pas toujours un simple donneur de capitaux : il
est souvent un directeur effectif qui suit de près l'activité de ceux qu'il soutient et l'on est alors très
près de la société générale. » F. Braudel-E. Labrousse, dir, op cit
17. Acte de société du 4 octobre 1762. Joseph Pierre Fresnais et François Bernard. Négociants à
Paris. Manufacture de boutons. Art 20 : « La société sera connue sous le nom de Fresnais et Bernard ;
mais l'un ne pourra engager l'autre ni la société par sa signature ou simple ou en la compagnie des deux
noms [...] » (AN MC/ET/XLVII/189). Autres exemples. Acte de société du 29 septembre 1770 entre
Jean de Ghent, négociant à Paris, Jeanne de Bergine, femme Duchaine, Marie Jeanne Carve, femme
Charvet Fabrique de bougrans. (AN MC/ET/XCII/734). Acte de société du 9 janvier 1772 entre
François Bury, négociant, Joseph Duval, négociant, et Bégin, commerce en commission. (AN MC/ET/
XCI,1097). Acte de société du 13 juin 1790 entre Pierre Beruquet, l'aîné, négociant à Rouen, JeanBaptiste, René Despilly, négociant à Paris, Gabriel Egarse, négociant à Paris. (AP D3B6 91).
18. J. Savary, op cit, Part 1., Liv III, ch XIII, p. 302 : « Il est nécessaire aux commis & facteurs
de sçavoir ce que c'est qu'escompte parce que les négocians en gros prêtent quelquefois leur
marchandise aux marchands en détail, ausquels ils les vendent pour plusieurs payements, c'est-à-dire
pour 3. 6. 9. 12 ou 15. mois, qui font 1. 2. 3. 4 & 5 payemens, à la charge de l'escompter à volonté par
l'acheteur ; [...] » Voir aussi sur l'escompte : N.-J. Guyot, op cit, t 9, p. 464b et infra, § 266.
19. Acte de société du 12 mars 1592. Gogue,Veuve Duval, Bizet. Marchands apothicaires : « [...]
en tous les prouffictz, revenuz et esmolumens qui proviendront de la vente de marchandises en gros ou
détail medicamens partyes fournies et autres choses quelzconques dependant du faict de la bouticque
et conservant l'art de marchandise d'appoticaire. » (AN MC/ET/LIV/445). Acte de dissolution de
société du 19 septembre 1770. Veron frères. Drapiers. Référence au bail : « Lesquels ont reconnu s'être
associés [...] dans le commerce, vente et débit que le sieur Antoine Charles Veron fait tant en gros
qu'en détail des marchandises concernant le commerce de draperie [...] » (AP D3B6 71).

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