Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 36 - Les sociétés en nom collectif au XVIIIe siècle - 96

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LES SOCIÉTÉS EN NOM COLLECTIF AU XVIIIe SIÈCLE

marchands merciers, les nobles auraient peu d'inclination et de compétence pour
exercer un commerce : « Il ne paroit pas au moins que, dans la révolution de 60
années tout entières, qui se sont écoulées depuis cet édit de 1701 [édit de décembre
1701], les Nobles par extraction, par Charges ou autrement, se soient fort empressés de profiter de la faveur qu'il leur accordoit : soit qu'ils ayent manqué de l'inclination ou des talens nécessaires pour entreprendre avec fruit le commerce en gros ;
soit qu'ayant reconnu l'inutilité de leur secours pour faire fleurir ce commerce dans
Paris sur-tout, la prudence ne leur ait pas permis de courir des risques, dans une
incertitude absolue de pouvoir parvenir à partager les succès des négocians de cette
Capitale du Royaume51. » À la veille de la Révolution, une affaire présentée aux
députés du commerce fait ressortir de son côté combien il est difficile aux nobles
de se soumettre à la règle commune52. En 1788, le S. Boislisle, écuyer et négociant
à Beauvais, a présenté une requête visant à exploiter une manufacture de draperie
façon anglaise, sans déroger, tout en étant exempté des visites des gardes drapiers
« avec lesquels il n'entend nullement faire corps ». Dans leur avis, les députés
défendent la nécessaire égalité qui doit être respectée dans l'exercice du commerce.
« [...] si l'on accordoit aux nobles la prérogative de ne pas être soumis aux statuts
des corps, ce seroit les mettre dans une classe supérieure à celle qu'occupent tous
les fabricans, ce seroit créer un nouvel ordre de citoyens que l'on ne pourroit elever
qu'en déprimant celui qui jusqu'à présent a seul fait fleurir l'industrie de la nation ;
ce seroit montrer une considération partiale qui fletriroit celle que le gouvernement
doit à tous ceux qui font honorablement le commerce ; ce seroit enfin sacrifier tous
les négocians du Royaume à la gloriole de quelques particuliers [...] » Ayant refusé
ainsi de satisfaire à la prétention du S. Boislisle d'échapper au sort commun, ils
concluent leur avis avec une pointe d'humour : [...] Quant à la demande de pouvoir
faire ce genre de commerce sans déroger à ses titres de noblesse ; on pense qu'à cet
égard seulement, le Conseil peut lui accorder tout ce qui pourra lever ses craintes
et tranquilliser sa délicatesse53. »
102.  Les nobles s'excluent-ils pour autant totalement des activités commerciales ? Ce serait oublier le commerce de mer avec les compagnies coloniales54 ou
celui qu'ils exercent plus ou moins discrètement dans les sociétés de capitaux55. Ce
serait omettre également que les nobles peuvent participer à des sociétés qu'ils
moyen d'y détruire la noblesse sans aucune utilité pour le commerce. La pratique de ce pays est très
sage ; les négociants n'y sont pas nobles mais ils peuvent le devenir ; ils ont l'espérance d'obtenir la
noblesse sans en avoir l'inconvénient actuel ; [...] »
51. Mémoire pour les Maîtres & Gardes en charge du Corps des Marchands Merciers de la Ville &
Faubourgs de Paris. Archives de la juridiction consulaire de Paris, op cit, Doc 5583, s d, circa 1761 :
(AP D1B6 36).
52. Avis des députés du commerce du 11 avril 1788, demande du S. Boislisle. (AN F12724).
53. id.
54. Ordonnance de janvier 1629, art  452  : « Et pour convier nos sujets de quelque qualité et
conditions qu'ils soient, de s'adonner au commerce et trafic par mer et faire connoître que notre
intention est de relever et de faire honorer ceux qui s'y occuperont : nous ordonnons que tout gentilshommes, qui par eux ou personnes interposées, entreront en part et société dans les vaisseaux, denrées
et marchandises d'iceux, ne dérogeront point à noblesse, [...] » F.-A. Isambert, t. XVI, n° 162, p. 339.
55. F. Braudel, L'identité de la France, Les hommes et les choses II, [1986], Paris, 1990, p. 400 :
« [...] vers le milieu du siècle, les nobles entrent en force dans les mines (Anzin entre autres) à SaintGobain, dans les forges de Cosne etc. » Acte de société du 18 juin 1785. Beaudevant et alii. Étamage
en couche épaisse. Parmi les souscripteurs, on relève les noms de Béthune, duc de Charon, et du
vicomte de « xxx », dont un document adjoint au dossier apprend qu'il s'agit de Jean-François de La
Rochefoucauld, vicomte de La Rochefoucauld. (AN MC/ET/LVIII/533)

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