Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 135 - L'abus de droit en droit international public - 144

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L'abus de droit en droit international public

1. La distinction fondée sur le champ d'application des notions
193. La dénomination de chacune de ces notions suppose une distinction de
leurs champs d'application. En effet, alors que l'abus permet de sanctionner l'utilisation d'un « droit », la notion de détournement concerne la manière dont il est
fait usage d'un « pouvoir ». Ces divergences terminologiques conduisent à s'interroger sur ces deux concepts et sur les éléments qui permettent de distinguer le
« droit » du « pouvoir ».
194. La distinction entre le « droit » et le « pouvoir » a pu être fondée sur le
but poursuivi dans chacune de ces hypothèses : alors que le pouvoir se caractérise par le fait qu'il « permet à celui qui le détient d'exprimer un intérêt au moins
partiellement distinct du sien »72, et serait donc lié à la satisfaction de l'intérêt
d'autrui ou de l'intérêt général, le droit serait associé à la satisfaction d'un intérêt
propre73. Cette distinction manichéenne nous semble devoir être relativisée à
deux égards. L'affirmation selon laquelle les droits seraient des prérogatives
employées pour la satisfaction d'un intérêt propre doit être tempérée car elle
suggère que les droits peuvent être exercés de façon absolue, sans tenir compte
d'autrui74. Or, les développements qui précèdent ont mis en lumière la fonction
sociale des droits et le fait qu'ils doivent être employés conformément à leur finalité75. De plus, l'opposition qui est faite entre le « droit » et le « pouvoir » peut
être nuancée tant la frontière entre les deux semble parfois poreuse. Cet élément
a notamment été relevé par la doctrine privatiste, qui souligne l'existence de
« droits mixtes », à mi-chemin entre les droits subjectifs et les pouvoirs. Les
défenseurs de cette théorie prennent appui sur l'exemple du droit de vote des
actionnaires au sein d'une société76. Ce dernier serait à la fois un « droit » et un
la décision viciée est frappée de nullité, mais cette sanction ne prohibe pas d'autres mesures et le
requérant peut également se voir octroyer des dommages-intérêts (TAOIT, M. D.J.G. c. Union
internationale des télécommunications, 12 juillet 2006, Jugement n° 2540, § 27 ; TAOIT, M. A.J. c.
Union postale universelle, 8 juillet 2009, Jugement n° 2845, § 10 ; TANU, Bentaleb c. Secrétaire général
des Nations Unies, 4 novembre 1991, Jugement n° 539).
72. E. Gaillard, op. cit., p. 21.
73. J.-D. Roulet, op. cit., pp. 42-43 ; V. Altabert, op. cit., pp. 83-84. Une autre terminologie est
employée par certains auteurs qui opposent les « droits-pouvoirs » (établis dans l'intérêt des sujets de
droit qui en sont les titulaires) qui correspondent aux droits subjectifs, et les « droits-fonctions » (confiés
à leur titulaire moins dans leur intérêt personnel que dans l'intérêt d'autres personnes) qui correspondent
aux pouvoirs (Voir : A. Rouast, « Les droits discrétionnaires et les droits contrôlés », RTD. civ., 1944,
pp. 1-19, pp. 3-8). Ces termes présentent cependant l'inconvénient de complexifier la distinction, et la
logique qu'ils reflètent serait même inexacte si l'on en croit Josserand : « en réalité, et dans une société
organisée, les prétendus droits subjectifs sont [eux aussi] des droits-fonctions ; ils doivent demeurer dans
le plan de la fonction à laquelle ils correspondent » (L. Josserand, op. cit., p. 395).
74. C'est d'ailleurs ce que laisse entendre l'expression « droits à esprit égoïste » parfois employée
pour désigner les droits subjectifs, par opposition aux « droits à esprit altruiste » qui correspondent
aux pouvoirs selon Louis Josserand (L. Josserand, op. cit., pp. 418-419). L'auteur prend le soin de
préciser que « prérogative égoïste ne signifie nullement prérogative absolue ».
75. Cette fonction sociale ne fait que poser certaines limites aux droits et restreint leur étendue,
sans altérer le fait que le droit qu'ils restent exclusivement au service de leurs titulaires. Elle ne signifie
pas que les droits doivent être exercés dans l'intérêt de la communauté (J. Dabin, Le droit subjectif,
Paris, Dalloz, 2008, 313 p., p. 220 ; L. Cadiet, Ph. Le Tourneau, « Abus de droit », Répertoire de Droit
civil, Encyclopédie Dalloz, 2016, § 34).
76. Le vote est en effet accordé à son titulaire afin d'adopter des décisions qui doivent être prises
dans l'intérêt de la société tout entière et ne doit pas avoir pour objet de favoriser un groupe
d'actionnaires. En ce sens, il s'agit donc d'une prérogative devant être exercée dans l'intérêt général.
Toutefois, il permet également au votant de faire valoir ses intérêts propres face à une majorité qui
risquerait d'abuser de sa position : E. Gaillard, op. cit., pp. 35-36.

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