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L'abus de droit en droit international public

droit a pu faire naître chez les autres sujets de droit en raison de ses déclarations,
ses actes ou des comportements adoptés. C'est également sur le fondement de la
bonne foi que repose la règle selon laquelle le droit international ne requiert
aucune forme spécifique pour la conclusion d'un traité157. La protection de la
confiance et les incidences que l'acte emporte sur autrui sont ici primordiales et
prévalent sur toute considération relative à la volonté réelle ou à l'intention de
l'État. Dans le même ordre d'idées, la règle de l'estoppel constitue également une
expression évidente du principe de la bonne foi158. Elle repose en effet sur l'idée
que l'une des parties s'est fondée sur le comportement de l'autre, a nourri des
espoirs et pris des dispositions de telle manière qu'elle subirait un préjudice si
l'autre partie revenait sur son comportement159. Dans la mesure où l'estoppel fait
obstacle à ce qu'une prétention soit invoquée dans le contentieux international
lorsqu'elle contredit un comportement antérieur ou une position tenue précédemment - et sur laquelle les tiers ont pu fonder des attentes légitimes -, elle semble,
à première vue, se rapprocher de la notion d'abus de procédure160. Ces deux mécanismes sont fondés sur l'idée que le droit dont il était possible de se prévaloir n'est
désormais plus invocable en raison de l'incohérence de celui qui en est le titulaire161. Mais cette assimilation résulte surtout d'une généralisation de chacune de
ces notions, qui se voient réduites à des mécanismes de sanction des comportements contradictoires, alors même qu'elles connaissent des critères plus précis et
distincts. Pour que l'allégation d'estoppel soit accueillie, il convient d'établir l'existence d'un comportement contradictoire de la part de la partie adverse ; apporter
la preuve de la confiance placée par celui qui l'invoque dans le comportement
antérieur de l'autre partie et démontrer le caractère préjudiciable de cette contradiction162. De son côté, l'abus de procédure est constitué par l'usage des prérogatives procédurales à des fins détournées du but en vue duquel elles ont été
-instituées. La reconnaissance de l'abus de procédure est elle aussi liée à une
volonté de protéger la confiance légitime des États tiers, mais la preuve de cet
157. CIJ, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (compétence et
recevabilité) (Qatar c. Bahreïn), Arrêt du 1er juillet 1994, Rec. 1994, pp. 120-121.
158. Ch. Vallée, « Quelques observations sur l'estoppel en droit des gens », RGDIP, 1973,
pp. 949-999, p. 991 ; Aire marine protégée des Chagos (Maurice c. Royaume-Uni), Sentence arbitrale
du 18 mars 2015, RSA, vol. XXXI, p. 542 : « [Estoppel] stems from the general requirement that States
act in their mutual relations in good faith [...] ».
159. J. Salmon (dir.), Dictionnaire (...), op. cit., pp. 450-451 ; CIJ, Temple de Préah Vihéar
(fond) (Cambodge c. Thaïlande), Arrêt du 15 juin 1962, Rec. 1962, Opinion individuelle du juge
Alfaro, p. 40. Sur le sujet, voir également : A. Martin, L'estoppel en droit international public, Paris,
Pedone, 1979, 384 p.
160. D. Levy, Les abus de l'arbitrage commercial international, op. cit., p. 403.
161. Le rapprochement de l'abus de procédure et de l'estoppel résulte tout d'abord du fait que ces
concepts sont animés par la même idée : la contradiction inhérente au concept d'estoppel peut être
rapprochée de l'abus de procédure qui se manifeste également par une forme d'incohérence émanant de
l'une des parties au différend et par la manipulation de la procédure. De plus, les juridictions britanniques
ont reconnu cette assimilation des deux notions et appréhendent la règle comme l'une des manifestations
du concept plus vaste d'abus de procédure (Johnson v. Gore Wood & co [2002] 2 AC 1). Sans qu'elles ne
soient totalement assimilées, il n'est pas rare que les juridictions internationales les mentionnent de façon
simultanée, sans préciser davantage la nature de leurs rapports. Voir par exemple : CPA/CNUDCI,
Chevron corporation (USA) et Texaco Petroleum Company (USA) c. Équateur, Sentence partielle du
1er décembre 2008, Affaire n° 34877, § 137 : « [...] abuse of process, estoppel and waiver are all to be
qualified as defenses to what may otherwise be a valid claim. They have the effect that a right which existed
at a certain time can no longer be relied upon or enforced by the holder of that right ».
162. H. Das, «
Estoppel et acquiescement
: assimilations pragmatiques et divergences
conceptuelles », RBDI, 1997, pp. 607-634, pp. 612-613.

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