Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 135 - L'abus de droit en droit international public - 289

LA RÉCEPTION DE L'ABUS DE DROIT PAR LES JURIDICTIONS INTERNATIONALES

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procédure fondé sur l'article 35 § 312. S'agissant de la CIJ, si elle ne s'est pas clairement exprimée sur la question, la juge Donoghue souligne dans son opinion dissidente jointe à l'arrêt sur les exceptions préliminaires dans l'affaire des Immunités
et procédures pénales, que la Cour semble requérir des « critères plus stricts d'établissement de la preuve »13.
425.  Bien qu'il n'existe pas de standard unique de la preuve14, l'abus de droit
ne semble pas répondre à un standard « plus élevé que la normale »15. En revanche,
la pratique démontre que les moyens de preuve produits pour établir l'existence
d'un abus de droit devront être suffisamment probants pour emporter la conviction du juge16. Dans l'affaire Rompetrol, le Tribunal arbitral reprend l'affirmation
de la juge Higgins selon laquelle « plus l'accusation est lourde, plus les éléments
de preuve produits doivent être fiables »17. Afin d'illustrer ces cas dans lesquels la
gravité de l'accusation impacte la question probatoire, le Tribunal cite pour
exemple la fraude et les infractions graves. L'allégation d'abus de droit nous
semble également faire partie de ces hypothèses, dans la mesure où elle renvoie à
la mauvaise foi de l'auteur de l'acte. Pour autant, le Tribunal souligne le fait que
cela n'induit pas nécessairement un standard de la preuve plus élevé, mais que les
éléments probatoires employés devront être d'autant plus persuasifs afin d'emporter la conviction du juge ou de l'arbitre18.
426.  La difficulté qu'il peut y avoir à apporter des moyens de preuve suffisamment probants apparaît notamment dans l'affaire de l'Aire marine protégée
des Chagos. En l'espèce, Maurice affirmait que le Royaume-Uni commettait un
abus de droit en instituant une aire marine protégée pour d'autres motifs que la
protection et la préservation de l'environnement19. De manière sous-jacente,
Maurice accusait le Royaume-Uni de prétexter l'instauration d'une aire marine
protégée pour, en réalité, chercher à asseoir ses prétentions territoriales sur
12. Cour EDH, Mirolubovs et autres c. Lettonie, 15 septembre 2009, req. n° 798/05, § 62 ; Cour
EDH [GC], S.A.S. c. France, 1er juillet 2014, req. n° 43835/11, § 66 ; Cour EDH, Zhdanov et autres c.
Russie, 16 juillet 2019, req. n° 12200/08, 35949/11 et 58282/12, § 16.
13. CIJ, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France) (exceptions préliminaires),
Arrêt du 6 juin 2018, Rec. 2018, Opinion dissidente de la juge Donoghue, § 18.
14. La pratique de la CIJ démontre par exemple que le standard de la preuve varie et « qu'il
n'existe pas de standard unique, valable pour tous les faits juridiques pertinents dans la procédure
judiciaire » (R. Kolb, La Cour internationale de Justice, op. cit., pp. 971-972).
15. H. Ascensio, « Abuse of Process in International Investment Arbitration », Chinese Journal
of International Law, 2014, pp. 763-785., p. 782.
16. Le standard de la preuve doit être distingué de la force probante. Le premier désigne « le
degré de précision que doit comporter une démonstration pour apparaître comme suffisante aux yeux
du juge » (R. Kolb, La Cour internationale de Justice, op. cit., p. 971), tandis que la force probante
renvoie aux qualités des éléments de preuve invoqués, à leur crédibilité et leur efficacité dans l'aptitude
à convaincre le juge. Sur ces questions, voir notamment : E. Jouannet, « Remarques théoriques - La
preuve comme reflet des évolutions majeures de la société internationale », in H. Ruiz-Fabri,
J.-M. Sorel (dir.), La preuve devant les juridictions internationales, Paris, Pedone, 2007, pp. 239-253.
17. CIJ, Plates-formes pétrolières (Iran c. États-Unis d'Amérique), Arrêt du 6 novembre 2003,
Rec. 2003, Opinion individuelle de la juge Higgins, p. 234, § 33.
18. CIRDI, The Rompetrol Group N.V. c. Roumanie, n° ARB/06/3, 6 mai 2013, § 182.
19. Aire marine protégée des Chagos (Maurice c. Royaume-Uni), Sentence arbitrale du 18 mars
2015, RSA, vol. XXXI, p. 359. Sur cette affaire, voir : S. Cassella, « Quand la mer domine la terre :
la sentence arbitrale du 15 mars 2015 en l'affaire de l'Aire marine protégée des Chagos (République de
Maurice c. Royaume-Uni) », AFDI, 2015, pp. 649-667 ; A. Biad, E. Edynak, « L'arbitrage relatif à
l'aire marine protégée des Chagos (Maurice c. Royaume-Uni) du 18 mars 2015 : une décision prudente
pour un litige complexe », RQDI, 2016, pp. 55-83 ; M. Gervasi, « The Interpretation of the United
Nations Convention on the Law of the Sea in the Chagos Marine Protected Area Arbitration : The
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