Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 135 - L'abus de droit en droit international public - 94

78

L'abus de droit en droit international public

frontalement aux diverses conceptions des juges car, si la notion est étudiée, c'est
vraisemblablement que les juges ne sont pas opposés à sa consécration et qu'un
principe général peut être dégagé.
115.  Enfin, une dernière méthode peut être mentionnée, en ce qu'elle permettrait également de mettre en œuvre la méthode comparative en évitant la lourdeur
de l'analyse des systèmes juridiques internes. Partant du principe que la consécration d'un « principe général de droit reconnu par les nations civilisées » suppose
l'existence d'un dénominateur commun aux normes internes, certains préconisent
le recours au droit romain qui a influencé un grand nombre de systèmes modernes,
et qui pourrait permettre d'identifier des principes généraux de droit49. Le droit
romain se voit ainsi appréhendé « comme une application de principes reconnus par
les nations civilisées »50. En effet, les adages latins sont parfois invoqués par la doctrine pour affirmer la positivité d'une norme dont le contenu approchera celui de
ces maximes. La méthode est toutefois controversée : s'il est vrai que la CIJ emploie
parfois des concepts de droit romain pour appliquer les règles s'y référant, ces applications ne constituent pas nécessairement l'affirmation d'un principe général de
droit51. En tout état de cause, cette technique ne permet pas d'apporter une solution
en l'espèce, car le droit romain comprend plusieurs maximes contradictoires relatives à l'usage des droits : on y trouve à la fois l'affirmation du fait que l'usage d'un
droit ne lèse personne (« neminem laedit qui suo jure utitur »), qui revient donc à nier
la théorie de l'abus ; et celle, contradictoire, qui confirme l'interdiction de l'abus de
droit, en affirmant qu'il est interdit de faire usage de ses droits de façon malicieuse
ou dans le seul but de nuire à autrui (« sic utere tuo ut alienum non alienas »).
116.  Il convient enfin de constater que, de manière générale, la doctrine et les
juridictions, admettent l'existence d'un principe d'interdiction de l'abus de droit
sans même chercher à en apporter la preuve formelle52. En tout état de cause et en
dépit des controverses que peut susciter la méthode comparative, le constat d'une
certaine convergence des systèmes de droit interne semble plaider en faveur de
l'existence d'un principe général d'interdiction de l'abus de droit.  Le terme
« -principe » est d'ailleurs souvent employé comme une échappatoire permettant
d'affirmer l'existence d'une norme sans être tenu de déployer une démonstration
rigoureuse. Cette qualification suppose toutefois d'apporter certaines nuances.
En réalité, si l'existence d'un principe général prohibant l'abus de droit peut effectivement être admise dans l'ordre juridique international, elle ne nous semble pas
résulter d'un processus de transposition des systèmes juridiques nationaux vers
49. G. Ripert, « Les règles du droit civil (...) », op. cit., p. 583. Sur les apports du droit romain
au droit international, voir R. Kolb, « Les maximes juridiques en droit international public : Questions
historiques et théoriques », RBDI, 1999, pp. 407-434.
50. U. Scheuner, « L'influence du droit interne (...) », op. cit., p. 151.
51. M. Sørensen, Les sources du droit international (...), op. cit., p. 143. Pour des exemples de
l'utilisation de maximes romaines par la Cour, voir : « onus probandi incumbit actori » (CIJ, Ahmadou
Sadio Diallo (fond) (République de Guinée c. République démocratique du Congo), Arrêt du 30 novembre
2010, Rec. 2010, p. 660) ; « qui tacet consentire videtur si loqui debuisset ac potuisset » (CIJ, Temple de
Préah Vihéar (fond) (Cambodge c. Thaïlande), Arrêt du 15 juin 1962, Rec. 1962, p. 23).
52. I. Prezas, « Standards internationaux de protection des investissements étrangers et abus
de droit de l'État hôte », in S. Robert-Cuendet (dir.), Droit des investissements internationaux.
Perspectives croisées, Bruxelles, Bruylant, 2017, pp. 195-222, p. 197 : « Les incertitudes de la pratique
internationale de même que les disparités des ordres juridiques nationaux en la matière, militeraient
contre l'existence d'une norme coutumière ou d'un principe général. Pourtant, la jurisprudence de
la Cour mondiale a déjà admis dans son principe la possibilité d'un abus de droit en droit
international ».
Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 135 - L'abus de droit en droit international public

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 135 - L'abus de droit en droit international public
