Précis Domat - Philosophie du droit - 2e - 24

PHILOSOPHIE DU DROIT
demander quel peut être le lien entre ces deux philosophes et le droit. Pourtant, il
est essentiel de les évoquer car Héraclite et Parménide résument une opposition très
traditionnelle que l'on retrouve aussi dans les domaines politiques et juridiques.
C'est l'opposition d'une certaine manière entre le progressisme et le conservatisme,
entre le parti du changement et celui de la stabilité, entre le parti du mouvement et
le parti de l'ordre, entre les aspirations révolutionnaires et le camp de la réaction,
entre ceux qui se construisent seuls et les héritiers, entre ceux qui regardent vers
l'avenir et ceux qui défendent des valeurs, entre les partisans de la rupture et ceux
qui préfèrent ce qui demeure, entre ceux qui regardent vers le nouveau monde et
ceux qui défendent l'ancien, mais aussi entre ceux qui aspirent à la Terre promise et
ceux qui n'aspirent à rien du tout. Il s'agit donc d'un débat crucial qui reste aujourd'hui
d'une très grande actualité.
13 Changement. - Dès les premiers temps de la philosophie, et comme par tâtonnement,
la pensée cherche à démêler ce qui est stable et ce qui est mouvant. Pour
expliquer le changement, les premiers philosophes grecs abandonnent les mythologies
et cherchent à ramener à l'unité la multiplicité mouvante des phénomènes.
Mais ils cherchent le principe unique du monde parmi les choses sensibles. Thalès
de Milet considère ainsi que l'eau est ce principe unique, car elle est susceptible
d'épouser toutes les formes et elle est nécessaire à la vie de tous les êtres. Pour
Anaximandre, son disciple, ce principe unique est antérieur à l'eau, c'est un indéterminé,
mélange de tous les contraires, dont tout découle et où tout retourne. Anaximène
retient quant à lui l'air comme principe unique, car il est aussi nécessaire
que l'eau tout en étant plus subtil, d'autant qu'il est capable de tout devenir par
condensation et dilatation. L'approche de ces trois premiers philosophes est donc
essentiellement fondée sur ce qui est perceptible par les sens, sans réussir encore à
opérer une véritable abstraction vers l'intelligence.
14 Héraclite. - Héraclite, quant à lui, est le philosophe du devenir. Pour lui, ce qui
existe, ce n'est pas l'être mais le devenir : il n'y a de réel que le changement. « Tout
marche, tout coule, rien ne s'arrête. L'univers est comme un fleuve : on ne se
baigne pas deux fois dans le même fleuve ». Pour lui, c'est le feu qui constitue
cet universel devenir : il est l'élément le plus subtil et le plus actif, doué d'une
incessante mobilité. Et ce feu primordial est divin, de sorte que puisque tout ce
qui nous apparaît n'est qu'une parcelle de ce feu, tout est divin. Ainsi, Héraclite
peut être considéré comme le premier panthéiste de l'histoire de la philosophie.
De surcroît, son système est paradoxal puisqu'il énonce tout et le contraire de
tout : ce qui est, en tant qu'il est, n'est pas, puisqu'il est soumis au changement...
Ce système refuse ainsi la notion de substance et prétend que tout est accident :il
s'agit donc d'un devenir sans sujet permanent, si bien que ce n'est pas un véritable
devenir, mais une succession de créations et d'annihilations. Ainsi, Héraclite apparaît
d'une certaine manière comme le premier des progressistes.
15 Parménide. - Parménide est le premier philosophe de l'être. Selon lui, le réel est
uniquement l'être. Seul l'être est ; le non-être n'est pas et ne peut donc devenir. Il
affirme ainsi l'objet propredel'intelligence, de même que le principe qui peut être
qualifié de premier : le principe d'identité et de non-contradiction.Il n'est d'ailleurs
nullement besoin de le démontrer ; c'est pour lui une évidence,un principe premier.
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