Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 110

HUMAIN NON-HUMAIN

jet de droit appartient aux intérêts que les hommes vivant en société reconnaissent suffisamment importants pour les protéger par le procédé technique de la
personnalité juridique 79 ».
L'on trouve ainsi toute une littérature juridique visant à promouvoir la personnalité juridique des animaux à partir de critères intérieurs, liés à la psyché, la
sensibilité, aux facultés émotionnelles 80. Jean-Pierre Marguénaud reprend à son
compte l'argumentation de René Demogue et la développe en montrant combien
il serait commode de considérer les animaux comme sujets de droit, par le recours
à la notion de personnalité technique qui permettrait de faire « varier l'étendue
de ces mêmes droits en fonction de différents critères de proximité avec
l'homme 81 ». L'intérêt que l'on veut protéger juridiquement est celui des êtres
sensibles.
Sur le plan philosophico-juridique, concernant les animaux 82, c'est vers
Rousseau qu'il faut se tourner en premier lieu : « il semble en effet que si je suis
obligé de ne faire aucun mal à mon semblable, c'est moins parce qu'il est un être
raisonnable, que parce qu'il est un être sensible, qualité qui, étant commune à la
bête et à l'homme, doit au moins donner à l'une le droit de n'être point maltraité
inutilement par l'autre 83 ». D'autres philosophes ont par la suite mis en avant ce
« mystère d'une présence psychologique unifiée 84 » que portent au monde les
animaux, pour promouvoir la nécessité à leur reconnaître une personnalité juridique. C'est ainsi que pour Bentham, « La question n'est pas " Peuvent-ils raisonner ? " , ni " Peuvent-ils parler ? " , mais " Peuvent-ils souffrir 85 ? " ». De même
peut-on lire chez Gary Francione que « la sensibilité constitue à elle seule un
critère suffisant d'intégration au sein de la communauté morale, sans qu'il faille
exiger la possession d'aucune autre caractéristique cognitive 86 » alors que Florence Burgat affirme que « les droits fondamentaux ne sauraient être réservés
aux seuls êtres humains, dès lors que (...) ce qu'il importe de souligner, ce sont

79. Ibid., p. 11.
80. Voir Jean-Pierre MARGUÉNAUD, « La personnalité juridique des animaux » Dalloz, Paris, 1998,
p. 205. Et même lorsque l'on a à faire aux théoriciens de la de la personnalité juridique qui
privilégient le critère de l'intérêt.
81. Jean-Pierre MARGUÉNAUD, « Le droit animalier, de l'anecdotique au fondamental », op. cit.
p. 205 et s.
82. Pour présentation générale, voir de Florence BURGAT notamment Florence BURGAT, « Prendre
la sensibilité au sérieux », dans Jean-Pierre MARGUÉNAUD, Florence BURGAT et Jacques
LEROY, Le droit animalier, PUF, Paris, 2016, p. 167 et s.
83. Jean-Jacques ROUSSEAU, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les
hommes, dans Œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau, avec des notes historiques, Paris,
A. DEAREZ, 1838, p. 534.
84. Tom REGAN, Les droit des animaux, Hermann, Paris, 2013, p. 21.
85. Jérémy BENTHAM, Introduction aux Principes de la morale et de la législation, Chapitre XVII,
1789.
86. Gary FRANCIONE, « Prendre la sensibilité au sérieux », op. cit., p. 188.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020

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