Droit et Société - Volume 60 - Humain Non-Humain - 125

PSYCHE, ANIMAUX, NATURE

Penser le sujet de droit par l'intériorité et dans une approche normativiste
offre une grille d'analyse éclairante d'un phénomène juridique intégrant de plus
en plus d'entités non-humaines au sein de la catégorie de sujets de droit. Au-delà
de la diversité des entités non-humaines en jeu (animaux, arbres, fleuves, robots...), et donc des finalités juridiques visées à travers le recours à cette technique juridique qu'est l'attribution de la qualité de sujet de droit (protéger l'environnement, la souffrance animale, faciliter la responsabilité juridique du concepteur de l'IA...), la question de l'intériorité apparaît comme un socle fédérateur. En effet, la place juridique conférée à l'intériorité de l'entité en cause,
qu'elle soit appréhendée comme vie psychique ou comme aptitudes cognitives,
apparaît fondamentale pour faire advenir l'entité sur la scène juridique en tant
que sujet de droit. C'est alors, après l'animisme juridique, à un psychéisme et à
un cognitivisme juridique, que l'on aurait ici à faire offrant, avec l'avancée des
sciences du psychisme et la mobilisation par le droit de ces discours scientifiques,
une extension potentiellement infinie de la catégorie de sujets de droit non-humains. La question intérieure permet, de plus, de pointer les limites de cette possible implication du non-humain sur la scène du droit : l'entité doit disposer de
certaines capacités cognitives minimales (compréhension et représentation de la
norme) pour qu'une norme puisse s'adresser directement à elle, sans recourir à
un représentant. Si la question reste ouverte, il semble difficile d'envisager, en
l'état actuel du droit et de notre connaissance scientifique, qu'un non-humain
puisse être pleinement destinataire de normes juridiques.
En distinguant le plan du droit de celui de la politique et de la réalité naturelle,
cette étude a permis de comprendre le rôle que joue l'intériorité dans la place
ainsi conférée au non-humain sur la scène juridique. On constate alors que, si
une entité non-humaine doit devenir sujet de droit pour des raisons morales et
politiques, la mise en avant d'aptitudes intérieures de l'entité permettra de le justifier (assurer son bien-être, lutter contre la souffrance psychique, disposer d'une
capacité d'autonomie...), alors que certaines capacités intérieures cognitives apparaissent comme ontologiquement attachées à la qualité de destinataire du droit
et donc à la normativité juridique.
C'est pourquoi, et pour conclure sur une hypothèse prospective 176, nous proposons la construction d'une échelle des sujets de droit humains et non-humains
dont les capacités juridiques et les droits attribués seraient reconnus dans leur
diversité en fonction certes des finalités politiques visées par cette attribution,
mais à partir des capacités psychiques et cognitives (intellectuelles, rationnelles,
émotionnelles...) de chaque espèce d'entités. Ainsi toute entité non-humaine serait potentiellement inscrite dans « la chaîne du droit » comme sujet de droit, et
disposerait, en fonction de ses capacités psychiques et cognitives d'aptitudes juridiques plus ou moins avancées.
L'intériorité apparaît comme un lieu de rencontre entre l'humain et le nonhumain en droit. Cette intégration des non-humains dans le cercle des sujets de
176. Cette hypothèse vise à décrire - et non à prescrire - l'état d'un droit tel qu'il semble évoluer.

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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 60, 2020
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