Manuel - Droit européen des droits de l'homme - 9e - 153

L'interdiction des discriminations
inscrit dans la dénonciation quasi in abstracto d'une discrimination indirecte
collective où la nature discriminatoire des violences mêmes était attestée par
desrapportsd'ONG et des statistiques27
, est repris par l'arrêt Eremia qui
insiste sur la nature discriminatoire d'un défaut de protection diligente contre
les violences domestiques28
. Mais il est intéressant de noter que dans cette
affaire, les juges européens privilégient une approche in concreto, observant
l'attitude fort critiquable des autorités qui n'ont absolument pas pris en
compte la réalité de la situation : pour la Cour, les actions des autorités ne
s'analysent pas simplement comme un manquement ou un retard à traiter
les actes de violence dirigés contre la requérante, puisqu'elles ont eu pour
effet de les cautionner à plusieurs reprises, ce qui traduit une attitude discriminatoire
à l'égard de la première requérante en tant que femme29
.
CEDH, 28 mai 2013, Eremia c/ Moldova, nº 3564/11 :
En fait : « La première requérante était mariée à un policier qui rentrait régulièrement
à son domicile en état d'ébriété et la battait en présence de leurs deux filles
adolescentes, les deuxième et troisième requérantes. Tous ces incidents ont été
signalés à la police, le mari devenant de plus en plus violent. Une ordonnance de
protection a été rendue, enjoignant l'intéressé de quitter le domicile familial et de ne
contacter aucune des requérantes. L'ouverture d'une enquête pénale a été demandée,
puis de nouveaux incidents sont intervenus, avec menaces de mort à l'égard
de l'épouse. Toutefois, l'enquête pénale a été suspendue pendant un an, sous
réserve que le mari de la première requérante ne récidive pas, le procureur
ayant estimé, malgré l'existence d'importants éléments établissant la culpabilité
de l'intéressé, que celui-ci avait commis une « infraction de moindre gravité »,
n'avait pas d'antécédents d'usage de stupéfiants ou d'alcoolisme et « ne représentait
pas un danger pour la société ».
En droit : (violation de l'art. 14 combiné avec l'art. 3). « La Cour rappelle qu'un
État qui ne protège pas les femmes contre les violences domestiques viole leur
droit à une protection égale devant la loi. La requérante a été plusieurs fois victime
de violences commises par son époux alors que les autorités étaient au courant de
la situation. Les autorités ont toutefois refusé de traiter son divorce en urgence, et
la police l'aurait même poussée à retirer sa plainte. Les services sociaux n'ont pas
immédiatement exécuté l'ordonnance de protection et ont même suggéré une réconciliation
en disant à la requérante qu'elle « n'était pas la première ni la dernière
femme à être battue par son mari ». Enfin, bien qu'il ait avoué avoir battu sa
femme, le mari de la première requérante a été concrètement exonéré de toute responsabilité
à la suite de la décision du procureur de suspendre sous conditions la
procédure dirigée contre lui. La combinaison de ces facteurs démontre clairement
que les actions des autorités ne s'analysent pas simplement en un manquement ou
un retard à traiter les actes de violence dirigés contre la première requérante, mais
qu'elles ont eu pour effet de les cautionner à plusieurs reprises, ce qui traduit une
attitude discriminatoire à l'égard de la première requérante en tant que femme ».
(note Info nº 163).
27. En ce sens : C. PICHERAL, obs. in JCP 2013 Actu. 1228.
28. CEDH, 28mai 2013, Eremia c/Moldova, nº 3564/11, JCP 2013 Actu. 1228, obs. C. PICHERAL,§ 82 à 90 :
manquement du système judiciaire à réagir demanière adéquate aux violences domestiques graves contre
les femmes.
29. Aff. Eremia,préc.,§ 89.
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