Manuel - Droit européen des droits de l'homme - 9e - 515

Les exigences du procès équitable
Ces principes s'appliquent en toute hypothèse57
,qu'il s'agisse de liens hiérarchiques
ou autres, voire de relations professionnelles, entre le juge et l'une
des parties58
, et surtout de situations de cumul externe ou interne des
fonctions.
A. Le cumul externe des fonctions
379. Lerisque departialité. - Les juges d'un même tribunal peuvent
être amenés à exercer des fonctions différentes, parfois même au-delà de
leur fonction juridictionnelle traditionnelle, ce qui ne constitue pas en soi
une atteinte à leur impartialité. Des difficultés peuvent cependant apparaître
dans certaines hypothèses liées à des doubles fonctions, juridictionnelles
et de conseil d'une part, juridictionnelles et de contrôle d'autre part. Un
tel cumul est possible, mais des précautions doivent être prises de façon à
éviter tout risque de partialité59
.
380. La double fonction juridictionnelle et de conseil. - Certaines
institutions comme le Conseil d'État peuvent être investies, à la fois, d'une
fonction juridictionnelle et d'une fonction de conseil : ce cumul est-il compatible
avec les exigences du droit à un procès équitable, en particulier
l'impartialité du tribunal ? Dans un premier temps, la Cour européenne
semble y avoir répondu par la négative : dans l'arrêt Procola, elle a jugé
que le seul fait que certaines personnes exercent successivement à propos
des mêmes décisions les deux types de fonctions est de nature à mettre en
cause l'impartialité structurelle de ladite institution60
. Mais la rigueur de cet
arrêt est en réalité tempérée par le fait que les juges européens ont précisé
que leur solution ne s'impose qu'en cas « de mêmes décisions » et de
«mêmes affaires »: c'est dire qu'en soi, un cumul des fonctions juridictionnelles
et de conseil ne constitue pas une atteinte à l'impartialité. D'ailleurs
par la suite, dans l'affaire Kleyn, ces mêmes juges ont rappelé de façon
encore plus explicite que la violation de l'article 6 ne pouvait s'envisager
que s'il s'agit effectivement d'une « même décision » et d'une « même
affaire », le critère de l'identité de l'affaire étant interprété
restrictivement61
. Cette orientation est confirmée par l'arrêt Sacilor57.
Sur l'impartialité du Conseil d'État,vº CEDH, déc.,11 avr.2019, Bonnemaison c/ France, nº 32216/16,
Dalloz Actu. 17 avr. 2019, obs. E.MAUPIN.
58. CEDH, 26 oct. 2004, Miller et autres c/Royaume-Uni, nº 45825/99 ; 17juin 2003, Pescador Valero
c/Espagne, nº 62435/00 ; 29mai 2012, Ute Saur Vallnet c/Andorre, nº 16047/10 (double fonction du juge).
59. À noter que certaines questions importantes et délicates n'ont pas (encore) fait l'objet d'une jurisprudence
européenne, par exemple la saisine pour avis de la Cour de cassation et la participation ultérieure à
la formation de jugement. Assurément, une grande prudence s'impose, en particulier lorsque l'affaire arrivant
en cassation est celle qui a motivé la saisine pour avis.
60. Il s'agissait du Conseil d'État luxembourgeois : CEDH, 28 sept. 1995, Procola c/ Luxembourg,
nº 14570/89, § 45, JDI 1996. 253, D. 1986. 301, obs. F. BENOÎT-ROHMER, AJDA 1996. 383, chron. J.-F. FLAUSS,
JCP1996-I-3910 no
8, obs. F. SUDRE, JCP1997-I-4017, chron. J. PETIT, RFDA 1996. 777, obs. J.-L. AUTIN et
F. SUDRE, RTDH 1996. 275, obs. D. SPIELMANN.Cf. aussi CEDH,8 févr.2002, Mc Gonnell c/Royaume-Uni,
nº 28488/95, § 55 et s.
61. Il s'agissait en l'espèce du Conseil d'État néerlandais : CEDH, Gr. Ch., 6mai 2003, Kleyn et autres
c/ Pays-Bas, nº 39343/98..., § 196 s., AJDA 2003. 918, obs. F. Aubert, ibid., 1490, note F. ROLLIN, ibid.,1926,
chron. J.-F. FLAUSS, JCP2003-I-160 no
7, obs. F. SUDRE, JDI 2004. 675, obs. E. DECAUX.
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