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PARTIE 1. TITRE 1 - DROIT ET LITTÉRATURE
les Muses. Prenez Villon : sans son arrestation, pas de Ballade des pendus ! Et Sade, qu'eût- il
écrit s'il n'avait passé sa vie derrière les barreaux30
?
Cependant, c'est aussi de manière structurelle que les contraintes pèsent sur les formes
littéraires. Pour l'avoir rappelé à tours de vers dans son Art Poétique, Nicolas Boileau reste
l'éternel législateur du Parnasse. Or si les contraintes pèsent, le droit concourt nécessairement,
par ses contraintes spécifiques, à la naissance ou au succès de formes littéraires.
Certains ont même soutenu que la poésie est née du droit. Voyez Fontenelle31
: « On ne
savait point encore écrire, et on voulut que certaines lois en petit nombre, et fort essentielles
à la société, fussent gravées dans la mémoire des hommes, et d'une manière uniforme et
invariable : pour cela, on s'avisa de ne les exprimer que par des mots assujettis à de certains
retours réglés, à de certains nombres de syllabes... »32
. C'est pour assurer la connaissance
du droit que la rime et la métrique auraient été inventées : la mémorisation du droit aurait
abouti à sa poétisation.
Et quoique moins poétique, l'idée mérite d'être rappelée : la censure elle- même a pu favoriser
le développement de certains genres. Les fables de La Fontaine viennent immédiatement
à l'esprit. N'en déplaise à Rousseau qui ne souhaitait pas qu'on les apprît aux petits écoliers,
ceux- ci le savent très bien : la plupart dissimulent une critique de la Cour et des juges. Les
animaux sont là pour contourner la censure.
Le droit concourt donc bel et bien à construire la littérature. Il en est une véritable infrastructure.
Mais si le droit sert la littérature, c'est également par la richesse des matériaux qu'il
apporte, comme source d'inspiration.
2. Comme source d'inspiration
Le droit peut alimenter la forme et le fond d'une œuvre littéraire.
La forme ? Étrange de prime abord : loin de s'en inspirer, les écrivains ont plutôt l'habitude de
railler le langage juridique. Molière et Rabelais le présentent toujours comme un galimatias.
Il est pourtant au moins un contre- exemple célèbre. C'est la fameuse lettre que Stendhal
écrivit à Balzac le 30 octobre 1840 : « En composant la Chartreuse, pour prendre le ton, je
lisais chaque matin deux ou trois pages du code civil, afin d'être toujours naturel ; je ne veux
pas, par des moyens factices, fasciner l'âme du lecteur ».
Mais le droit ne sert pas que la forme littéraire. Il en innerve parfois le fond. Carbonnier a déjà
montré que la passion des lois au xviiie
législatif33
siècle avait créé un nouveau genre littéraire : le genre
. Avec Fénelon, Rousseau, Saint Just... Mais au- delà de cette période spéciale, le
droit donne aussi de belles intrigues. Sans doute pense- t-on d'abord au procès. Et celui de
Kafka ne saurait éclipser tous les autres : celui de Meursault par exemple, dans L'étranger
d'Albert Camus ; de Julien Sorel, dans Le Rouge et le Noir de Stendhal. Il n'y a d'ailleurs pas
que les procès d'assises ! Qu'il suffise d'évoquer Les Plaideurs de Racine. Et puis il n'y a pas
30. V. ost F., Sade et la loi, 2005, Odile Jacob.
31. V. leca A., La lyre de Thémis ou La poésie du droit, 2011, Faculté de droit d'Aix- Marseille, coll. d'Histoire du Droit,
série Thèses et travaux, n° 20, spéc. p. 22 et s.
32. B. fontenelle, Sur la poésie en général, in Œuvres de Fontenelle, 1825, Paris, Salmon- Peytieux, t. 5, p. 13, cité
par leca A., op. cit., p. 23.
33. carBonnier J., La passion des lois au siècle des Lumières, Bulletin de la classe des Lettres et des sciences
morales et politiques de l'Académie royale de Belgique, 5e
série, tome LXII, 1976-12, p. 540 et s.
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