Bibliothèque de droit social - Tome 79 - La charge de travail - 211

La prévention insuffisante de la surcharge de travail

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dans la disparition de l'ancestral « bon père de famille » au profit de la « personne
raisonnable », standard importé de la common law9. En droit du travail, le choix
des mots a une fonction plus incantatoire. Le législateur cherche à « exorciser le
" mal social "  » et, pour ce faire, formule ses textes en fonction des effets qu'ils sont
censés produire10. En témoigne la disparition du terme « pénibilité » du Code du
travail, accusé par le Président de la République d'induire que le travail est une
souffrance11. Discipline au plus proche des citoyens actifs, le droit social utilise le
plus souvent des termes issus du langage courant pour construire un droit qui se
veut simple12. Il s'agit toutefois de trouver un point d'accord entre un langage trop
technique et prolixe d'une part et un « novlangue » gestionnaire13 qui mènerait
inévitablement à un appauvrissement des droits, d'autre part. La charge de travail
est une notion dont chacun saisit intuitivement le sens. Elle est déjà utilisée par les
acteurs du monde du travail. Partant, il s'agit d'un terme parfaitement adapté à
la création normative en droit du travail contemporain, malgré les difficultés d'interprétation qu'il peut susciter.
322.  Une apparition dans les débats parlementaires. L'intégration du terme
« charge de travail » dans la législation sociale résulte-t-elle d'un choix conscient
et réfléchi du législateur ? La lecture de l'exposé des motifs des lois Aubry permet
de constater que cette notion ne faisait pas partie du plan de communication des
pouvoirs publics dans le cadre de cette réforme de la durée du travail14. En réalité,
le terme s'est inséré, presque naturellement, dans les débats parlementaires sans
que sa légitimité ne fût vraiment questionnée.
323. Charge de travail et réduction de la durée du travail. Mme Martine
Aubry, alors ministre de l'Emploi et de la Solidarité, affirmait « qu'un certain
nombre de personnes se sent[aient] stressées et [avaient] des difficultés à faire face
à une surcharge de travail ». Il ressortait des études de l'INSEE que la charge de
travail ressentie par les salariés augmentait, en raison de l'adaptation aux nouvelles technologies ou encore d'une compression du travail. Cette augmentation
de la charge de travail justifiait une réduction de la durée du travail15. Le constat
était partagé par la députée Roselyne Bachelot qui, reconnaissant les mérites de la
réduction de la durée du travail, estimait toutefois que des résultats tout aussi
satisfaisants auraient pu être obtenus par le biais du dialogue social, sans recourir
à une réduction imposée16. Ces interventions démontrent le lien intuitif entre
9. J. Huet, « Adieu bon père de famille », D. 2014, p. 505 ; Loi n° 2014‑873 du 4 août 2014 pour
l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.
10. G. Lyon-Caen, « Le langage en droit du travail », op. cit., spéc. pp. 5‑6. En réalité, la multitude
de textes utilisant le même champ lexical trahit plutôt la difficulté pour le législateur à atteindre les
objectifs qu'il se fixe. En témoigne les lois récentes de « sécurisation » de l'emploi (n°  2013‑504,
14  juin  2013), pour la « croissance », l'activité et l'égalité des chances économiques (n°  2015‑990,
6 août 2015), pour l'égalité « réelle » entre les hommes et les femmes (l'égalité auparavant recherchée
n'était pas réelle ? - n° 2014‑873, 4 août 2014).
11. Ord. n° 2017‑1389 du 22 sept. 2017 relative à la prévention et à la prise en compte des effets
de l'exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention.
La disparition du terme n'a toutefois pas fait disparaître les facteurs de risques qui étaient auparavant
qualifiés de pénibles.
12. G. Lyon-Caen, « Le langage en droit du travail », op. cit., spéc. p. 1.
13. En référence à l'œuvre de George Orwell, 1984.
14. Loi n° 98‑461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de
travail ; Loi n° 2000-37 du 19 janv. 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail.
15. Déb. parl. AN (CR) du 5 oct. 1999, 3e séance, p. 6898.
16. Ibid., p. 6907.

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