Bibliothèque de droit social - Tome 79 - La charge de travail - 54

LA CHARGE DE TRAVAIL

adapté aux nouvelles formes d'organisation du travail que ne le sont la durée et le
temps de travail. Comme évoqué précédemment207, de nombreux chercheurs ont
mis au point des instruments de mesure, objective, subjective ou objectivée, de la
charge de travail. Ces instruments permettent, à un moment donné, de quantifier
la charge de travail et de déterminer si elle dépasse le seuil de ce qui est supportable, physiquement et mentalement, par l'opérateur. Aussi pertinents que soient
ces modèles, ils occultent le fait que la dimension éminemment subjective de la
notion de charge de travail, découlant des contraintes et des ressources inhérentes
au travail salarié contemporain, rend difficile, si ce n'est impossible, une mesure
précise, exacte et fiable de la charge de travail. Les travailleurs ne sont pas égaux
face à une même situation de travail. Vouloir mesurer la charge impliquerait de
faire cette mesure, individuellement, pour tous les salariés de l'entreprise. Si cela
est envisageable pour une étude expérimentale à dessein scientifique, une telle
approche n'est pas adaptée à une mise en place à grande échelle. En outre, la plupart des méthodes d'objectivation de la charge de travail paraissent trop intrusives et complexes à mettre en place à grande échelle dans les entreprises. Il est
plus réaliste de vouloir évaluer la charge de travail, d'en faire un objet de discussion et de compréhension du travail et de ses effets, plutôt qu'un instrument de
mesure objectif. Il est plus pertinent de fonder le raisonnement sur les déterminants de la charge de travail, ceci d'autant plus qu'ils contribuent à faire de cette
charge un objet dynamique qui se modifie sans cesse.
49. Préférer une approche dynamique. En réalité, au-delà des difficultés pratiques et techniques, mesurer la charge de travail est vain dès lors que la moindre
tension sur un déterminant de cette charge suffit à la faire évoluer à la hausse ou
à la baisse. Que la charge de travail soit raisonnable à un moment donné n'exclut
pas qu'elle se transforme rapidement en surcharge ou en sous-charge de travail.
Faire le deuil d'une mesure précise a une conséquence positive : cela permet de
réfléchir à la charge de travail et à ses effets dans la durée, de faire de la charge de
travail un objet de discussion, de régulation permanente dans l'entreprise. Cette
approche incite à la vigilance durable, à la recherche des facteurs permettant de
rendre la charge de travail plus supportable et le travail plus durable pour ceux qui
le réalisent. Considérant que les exigences et contraintes de travail se modifient en
temps réel au gré des demandes de l'employeur, de l'encadrement ou de la clientèle, cette approche rend superflue toute volonté de mesure précise et chiffrée de
la charge de travail208. Dans ce contexte, la mesure laisse sa place à une évaluation,
elle-même lacunaire dès lors qu'elle doit faire l'objet d'ajustements constants, dès
qu'un élément nouveau affecte les contraintes ou les ressources de travail. L'action sur la charge de travail doit alors prendre le pas sur l'observation de cette
charge, et « dans cette perspective, agir sur la charge de travail signifie intervenir
sur les conditions de travail »209. C'est à cette condition que l'on peut envisager la
charge de travail comme un déterminant de la protection de la santé des salariés.
207. V. supra, n° 27.
208. J.-P. Durand, La chaîne invisible. Travailler aujourd'hui : flux tendu et servitude volontaire,
Paris, Seuil, coll. Économie humaine, 2004, pp. 270-271. Certaines entreprises cherchent toutefois à
dégager des normes de qualité, « définie[s], de manière purement pragmatique, comme les attentes du
client ou plus largement de l'utilisateur » : B. Frydman, « Prendre les standards et les indicateurs au
sérieux », in B. Frydman & A. Van Waeyenberge (dir.), Gouverner par les standards et les indicateurs.
De Hume aux rankings, Bruylant, Bruxelles, 2014, pp. 5‑65, spéc. p. 29.
209. P.‑S. Fournier, S. Montreuil & J. Villa, « Contribution à un modèle explicatif de la charge de
travail : le cas du service à la clientèle », Relations industrielles/Industrial Relations, vol. 68, n° 1, 2013, p. 46.

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