Bibliothèque de droit social - Tome 79 - La charge de travail - 91

Charge de travail excessive et réduction de la durée du travail

étendue par les ordonnances du 22 -septembre 2017 à d'autres champs que la
durée du travail, se veut pragmatique. Elle est orientée vers le développement de
l'emploi, quitte à emprunter une voie juridiquement peu orthodoxe156 : dans un
contexte marqué par un taux de chômage élevé et une volonté politique de faire
du droit du travail un levier pour l'emploi, le législateur serait moins compétent
que les partenaires sociaux pour créer la norme applicable aux entreprises et aux
travailleurs. Les règles relatives à la santé au travail ne sont pas concernées par
cette nouvelle architecture, bien que le rapport Lecocq sur la santé au travail préconise de rendre les décrets supplétifs dans ce domaine, pour limiter les contraintes
réglementaires et « améliorer l'effectivité de la prévention, en permettant à l'employeur de prendre des initiatives et des mesures adaptées à la situation »157.
112. Primauté du droit négocié sur la volonté individuelle. Pour pallier les difficultés rencontrées par les entreprises sur le terrain de la compétitivité, le législateur a fait le choix d'une flexibilité impliquant les partenaires sociaux. Dès 1982,
les lois Auroux ont ouvert la voie à des accords dérogatoires à la loi sur la majoration des salaires158. Différentes lois de 2000, 2004, 2008 ou encore 2016 ont
élargi le champ de la négociation dérogatoire en matière de durée du travail. Le
salarié pouvait alors, le plus souvent, opposer son contrat de travail pour empêcher l'application d'un tel accord. La loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013
a fait suite à un constat, celui de « l'urgence d'une mobilisation de tous pour
développer l'emploi et lutter contre le chômage » ; elle résultait aussi de « la
conviction que sont possibles des compromis dans lesquels ce que les uns gagnent
n'est pas ce que les autres perdent »159. La lutte contre le chômage nécessitait des
compromis entre les acteurs du monde du travail. Cette loi a instauré les accords
de maintien de l'emploi (AME), mécanisme permettant d'aménager, « en cas de
graves difficultés économiques conjoncturelles », la durée du travail, ses modalités
d'organisation et de répartition ainsi que la rémunération par accord majoritaire.
Ces concessions demandées aux salariés étaient faites pour une durée de cinq ans,
« en contrepartie de l'engagement de la part de l'employeur de maintenir les
emplois pendant la durée d'application de l'accord »160. L'originalité de ce dispositif résidait dans le fait que le salarié qui acceptait l'application d'un AME voyait
les clauses de son contrat contraires à cet accord suspendues pendant la durée de
son application. L'accord du salarié conditionnait les concessions faites notamment sur la durée du travail. Toutefois, « lorsqu'un ou plusieurs salariés refus[ai]
ent l'application de l'accord à leur contrat de travail, leur licenciement repos[ait]
sur un motif économique, [était] prononcé selon les modalités d'un licenciement
individuel pour motif économique et il repos[ait] sur une cause réelle et
sérieuse »161. Le droit au refus du salarié paraissait illusoire ; le principe de faveur,
« âme du droit du travail » selon les mots du Professeur Yves Chalaron162, s'en
trouvait considérablement affaibli. La loi du 8 août 2016 est allée plus loin en
156. F. Favennec‑Héry, « La négociation dans le droit de la durée du travail », Dr. soc. 2016, p. 892.
157. Ch. Lecocq, B. Dupuis & H. Forest, Santé au travail : vers un système simplifié pour une
prévention renforcée, Rapport fait à la demande du Premier ministre, août 2018, p. 35.
158. Loi n° 82‑957 du 13 nov. 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits
collectifs du travail.
159. Loi n° 2013‑504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, exposé des motifs.
160. C. trav., art. L. 5125‑1.
161. C. trav., art. L. 5125‑2.
162. Y. Chalaron, « L'application de la disposition la plus favorable » in Les transformations du
droit du travail, Études offertes à Gérard Lyon-Caen, Paris, Dalloz, 1989, p. 243. L'article L. 2254‑1 du

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