Les Intégrales - Volume 21 - Les pactes d'affaires - 1re - 217

Cha p i t r e 1 - L e s pact es d e n o n - agr es s i on
excellence111
? Ne permet-il pas aux parties de « s'approprier le futur»112
? Ces deux
questions, savoureusement rhétoriques, ne méritent guère de réponse. Elles appellent
cependant une mise en garde : le contrat, aussi utile soit-il pour les agents
économiques, constitue également l'acte de tous les dangers. Sceller un pacte de nonagression
par la conclusion d'un contrat peut apparaître comme un acte de pure folie et
être interprété comme un suicide économique, dès lors, bien évidemment, qu'est mis de
côté l'hypothèse de la faute lucrative. En effet, la présence d'un instrumentum facilite
grandement la tâche des autorités de concurrence qui, dans leur office, n'ont plus qu'à
se contenter de qualifier l'accord d'entente anticoncurrentielle. Le propos doit
néanmoins être nuancé. Certains accords, malgré la présence d'un écrit, donnent
énormément de fil à retordre aux autorités chargées de les contrôler. L'habileté des
rédacteurs d'actes est souvent redoutable, ces derniers prenant le soin de dissimuler le
venin concurrentiel injecté dans les rapports contractuels113
. Les accords engendrant de
grandes difficultés sont notamment ceux mettant un terme à un litige de droit de
propriété intellectuelle. En pratique, la Commission ne parle pas expressément de
transaction, mais d'accord de règlement, ce qui ne change rien à la nature contractuelle
de tels actes. Les accords de coexistence de marque114
qualifie d'« engagements de non-agression »115
, furent les premiers à être stigmatisés
dans l'Union. Définis dans l'arrêt BAT de la Cour de justice comme « des accords
servant à délimiter, dans l'intérêt réciproque des parties, les sphères d'utilisation
respectives de leurs marques en vue d'éviter des confusions et des conflits »116
, ils
n'échappent pas à l'application de l'article 101 TFUE. La raison de cette justiciabilité
tient au fait qu'ils peuvent viser à réaliser des partages de marché, voire d'autres
restrictions de concurrence117
. En effet, sous prétexte de résoudre un contentieux de
marque, les parties en profitent pour éliminer la pression concurrentielle qui aurait dû
se diffuser sur le marché. Ces pactes de non-agression sont particulièrement suspects
lorsque la marque litigieuse n'est qu'une marque de « réserve », c'est-à-dire une marque
enregistrée mais non utilisée. En ce cas, les restrictions de concurrence prévues par
l'accord transactionnel seront considérées comme injustifiées et révéleront une violation
patente de l'article 101.
Quant aux accords résolvant un litige de brevet, ils sont depuis quelques années sous les
feux des projecteurs. La Commission veille à ce que derrière le règlement du litige de
brevet ne se cache pas un accord exclusivement conçu pour empêcher la concurrence.
C'est notamment dans le secteur pharmaceutique que les préoccupations de concurrence
se sont révélées extrêmement importantes. Suite à son enquête sectorielle débutée en
2007118
siècle, Hauriou écrivait à ce sujet, avec tout le génie de la formule qu'on lui connaît, que le contrat
« est la tentative la plus hardie qui se puisse concevoir pour établir la domination de la volonté humaine sur les
faits, en les intégrant d'avance dans un acte de prévision ». V. M. HAURIOU, Principe de droit public, Larose, Paris,
1910, p. 206.
(112) H. LECUYER, « Le contrat, acte de prévision », in L'avenir du droit- Mélanges en l'honneur de François Terré, Dalloz,
Paris, 1999, p. 641.
(113) Par exemple, si les clauses de non-concurrence demeurent des clauses que l'on retrouve régulièrement dans la
pratique, lorsqu'il s'agit de marché de dimension importante (européenne ou internationale), elles se font plus
discrètes et n'apparaissent plus expressément en tant que telles. Les conseils sont très vigilants dans la mesure où
ils savent que cette clause, qui impose une obligation de ne pas concurrencer autrui, peut conduire à la condamnation
des entreprises signataires du pacte. Pour une présentation d'ensemble de la clause de non-concurrence :
v. not. F. BUY, « La clause de non-concurrence », in Les principales clauses des contrats d'affaires (dir. F. Buy,
M. Lamoureux, J. Mestre et J.-Ch. Roda), 2e
éd., LGDJ, Paris, 2018, p. 521 et s.
(114) Sur ces accords : v. not. Ch. CARON, « La discrète omniprésence des accords de coexistence en droit des marques »,
JCP G 2013, nº 5, doctr. 123 ; P.-Y. GAUTHIER, « Des transactions en propriété intellectuelle (accords de coexistence
de marques) », in Droits de propriété intellectuelle -Liber amicorum Georges Bonet, Litec, Paris, 2010, p. 239.
(115) CA Rouen, 13 févr. 2004, PIBD1994, III, p. 537.
(116) CJCE, 30 janv. 1985, aff. 35/83, BAT, ECI :EU :C :1985:32, § 33.
(117) La Cour est cependant très elliptique au sujet des « autres restrictions ». Elle ne donne aucun exemple permettant
d'illustrer son propos.
(118) Comm. eur., Pharmaceutical Sector Inquiry, Final Report, 8 juill. 2009, disponible sur : https://ec.europa.eu/competition/sectors/pharmaceuticals/inquiry/staff_working_paper_part1.pdf
(visité le 28 oct. 2020).
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, que la jurisprudence nationale
, la Commission a découvert des accords prenant la forme de règlements amiables
qui, outre le fait de mettre un terme au litige de brevet, imposaient aux génériqueurs
(111) Au début du XXe
https://ec.europa.eu/compe
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