Les Intégrales - Volume 21 - Les pactes d'affaires - 1re - 270

LES PACTES D'AFFAIRES
§ III - Le possible jeu de l'abus de droit
313 Abus de majorité dans le fonctionnement d'un groupement. - Que la structure, directement
ou indirectement utilisée dans le cadre du pacte, soit une société ou même une
simple association (Cass. 1re
civ., 4 avr. 2006, nº 03-13894, Bull. civ. I, nº 188), la
théorie de l'abus de majorité peut conduire à remettre en cause par la nullité une
délibération qui aurait été prise contrairement à l'intérêt du groupement et dans l'unique
dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des membres de la minorité.
Naturellement, la grande majorité des décisions qui en ont fait ainsi application ne sont
pas relatives à des pactes, mais ceux-ci restent en tout cas concernés par cette limite, et
quelques exemples peuvent d'ailleurs être évoqués, qui en témoignent (Cass. com.,
8 janv. 1973, nº 71-12141, Bull. civ. IV, nº 13 ; 24 mai 2016, nº 14-28121,
RJDA 2016, nº 620, Rev. sociétés 2017, p. 226, note P.-M. Pillebout ; 10 avr. 2019,
no
17-14790, Bull. Joly Sociétés, juill.-août 2019, p. 29, note T. de Ravel d'Esclapon).
Il reste que l'appréciation des juges peut être ici délicate, comme le révèle l'emblématique
contentieux des Champagnes Giesler.En l'occurrence, une société anonyme avait
fait apport des titres qu'elle détenait sur sa filiale à une société en commandite par actions
nouvellement créée, avec sans doute en arrière-plan les souhaits d'interposer une société
tierce entre la société mère et sa filiale, de transformer la société mère en coquille vide,
d'empêcher la remontée de bénéfices et enfin de conférer à l'actionnaire majoritaire de la
société mère, devenu gérant de la commandite, une complète liberté de manœuvre qu'il
ne possédait pas précédemment. Dans le contentieux qui s'ensuivit, un arrêt de la cour
d'appel de Reims écarta le grief d'abus de majorité, mais fut ensuite censuré par la
Cour de cassation qui parut donc hostile à cette sorte de sous-filialisation par laquelle
une société avait affecté à une autre, créée pour la circonstance, une partie de son
actif, mise de la sorte hors de portée directe des associés minoritaires de l'apporteuse
(Cass. com., 24 janv. 1995, nº 93-13273, Rev. sociétés 1995, p. 46, note M. Jeantin,
RTDcom. 1995, p. 623, obs. Y. Reinhard). Mais la cour d'appel de renvoi refusa de
s'incliner en préférant considérer que la sous-filialisation avec création d'une société en
commandite par actions ne constituait pas un abus de majorité si elle avait pour but
d'assurer la pérennité de l'entreprise eu égard au grand âge de son fondateur, si la
création de l'interposition de la commandite n'avait en rien amoindri l'influence de celui
qui contestait l'opération, et si la société mère n'avait pas été transformée en coquille
vide malgré la chute importante de son chiffre d'affaires et de son bénéfice (CA Paris,
19 sept. 2001, nº 95-8845, Bull. Joly Sociétés2001, p. 1121, note A. Constantin ;
RJDA 2002, nº 45). Or, cet arrêt fut lui-même cassé pour défaut de base légale, la Cour
de cassation reprochant aux juges de n'avoir pas recherché si l'opération n'avait pas eu
en réalité pour objet de favoriser les associés majoritaires, qui s'étaient octroyés la
qualité d'associés commandités et, partant, le pouvoir de décider de la répartition des
bénéfices de la filiale (Cass. com., 30 nov. 2004, nº 01-16581, Bull. Joly
Sociétés2005, p. 241, RJDA 2005, nº 263). Mais la nouvelle cour d'appel de renvoi
(CA Versailles, 20 juin 2006, nº 05-2777, RJDA 2007, nº 156, Bull. Joly Sociétés2006,
p. 1424, Rev. sociétés 2007, p. 187, note I. Urbain-Parléani) a elle-même écarté l'abus
de majorité en prenant cette fois soin de montrer en quoi le pouvoir de l'associé
minoritaire n'avait pas été diminué par l'opération litigieuse, et en quoi l'éventuelle
perte de valeur de ses actions ne présentait pas de lien de causalité avec l'abus allégué.
Ce qui révèle bien, nous semble-t-il, que dans l'esprit des juges, l'abus de droit demeure
quand même une exception à un principe de liberté...
314 Abus de droit en matière fiscale. - L'optimisation fiscale qui est souvent à l'origine de
certains montages d'affaires aux fins de réduire le montant des impositions n'est pas ellemême
à l'abri de toute réaction de la part de l'Administration, à travers ici encore le jeu
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