Les Intégrales - Volume 21 - Les pactes d'affaires - 1re - 276

LES PACTES D'AFFAIRES
§ I - Les donations substitutives : résiduelles
ou graduelles
319 Le renouveau des libéralités substitutives. - Quoiqu'anciennes, les libéralités substitutives
ont connu une évolution pour le moins mouvementée (on dirait aujourd'hui en
« stop&go ») : tantôt fortement encouragées, tantôt fermement repoussées2
.Jadis,
elles étaient assez répandues. Cependant, à la Révolution, elles furent sévèrement
jugées et regardées comme de nature à favoriser la reconstitution des grandes fortunes
nobiliaires. Le Code civil consacra donc un principe de prohibition des substitutions
fidéicommissaires, mais peu après, en 1808, Bonaparte les autorisa de nouveau afin
de permettre à la « noblesse d'Empire »3
majorats4
prohibées5
la transmission des titres à travers les
. Or, au milieu du XIX siècle elles furent une nouvelle fois strictement
e
procède à un « réveil »6
. Les choses restèrent en l'état jusqu'à ce que la loi du 23 juin 2006
de ces libéralités substitutives7
. Depuis cette date, il est vrai
que leur succès demeure contrasté en pratique8
difficultés d'application et peut-être aussi d'une large méconnaissance9
elles ouvrent d'intéressantes perspectives, tant sur le terrain civil que fiscal10
, notamment en raison de certaines
. Pour autant,
. Elles
permettent, entre autres, de garder la maîtrise sur la transmission d'un bien à travers
le temps : elles ont un effet à « double détente », puisqu'elles impliquent la transmission
d'un bien à un premier gratifié qui, à son décès, appellera un second gratifié (et
non un deuxième car la substitution ne peut pas a priori jouer au-delà d'un degré11
).
On comprend dès lors, même si rien n'oblige qu'elles interviennent spécifiquement
dans ce contexte, que celles-ci se révèlent propices à forger des pactes familiaux. Si
on laisse volontairement de côté les formes testamentaires12
, on observera que les donations
substitutives varient selon la nature de la charge imposée au premier gratifié. La
donation sera « graduelle » lorsqu'elle sera faite à charge de conserver intacte le bien
donné pour, ensuite, le transmettre tel quel au second gratifié (obligation de conserver
et transmettre). En revanche, elle sera dite « résiduelle » lorsqu'elle imposera seulement
au premier gratifié de transmettre le « résidu » au second gratifié (obligation de transmettre
le residuum uniquement).
(2) C. DEMOLOMBE, Traité des successions, t. I, Hachette, Paris, 1862, spéc. p. 550 ; Ph. LÉVY et A. CASTALDO, Histoire du
droit civil, op. cit., spéc. p. 1217.
(3) J. TULARD, Napoléon et la noblesse d'Empire, Tallandier, 1979.
(4) J.-M. AUGUSTIN, « Construire le mythe de temps : les substitutions fidéicommissaires et les majorats », in Le temps et
le droit (coord. M. ORTOLANI et O. VERNIER), Éditions Serre, coll. Actual, 2002, spéc. 70.
(5) E. FUZIER-HERMAN (dir.), Répertoire général alphabétique du droit français, t. XXVII, Sirey, 1898, spéc. p. 67, nº 125,
vº « Majorat ».
(6) M. NICOD, « Le réveil des libéralités substitutives : les libéralités graduelles et résiduelles du Code civil. À propos de
la loi du 23 juin 2006 », Dr. famille 2006, étude 45. V. aussi, E. NAUDIN, « Les libéralités graduelles et résiduelles »,
LPA, 28 juin 2007, nº 129, p. 21 ; N. PETERKA, « Les libéralités graduelles et résiduelles, entre rupture et
continuité », D. 2006, p. 2580 ; M. GRIMALDI, « Les libéralités graduelles et résiduelles », JCPN 2006, nº 51-52,
1387 ; Ph. MALAURIE, « Les libéralités résiduelles et graduelles », Defrénois 2006, p. 1801 ; I. OMARJEE et J. LAPIERRE,
« La libéralisation des libéralités avec charge de transmettre : les libéralités graduelles et résiduelles », LPA, 5 févr.
2007, nº 26, p. 6 ; Ch. VERNIÈRES et G. BONNET, « Réflexions pratiques sur les libéralités graduelles et résiduelles »,
Defrénois 2017, p. 59.
(7) Sur le modèle de l'article 722 du Code civil, le législateur a choisi de renverser la traditionnelle prohibition des
substitutions fidéicommissaire en adoptant une rédaction « permissive » puisque dorénavant la disposition par
laquelle une personne est chargée de conserver et de rendre à un tiers ne produit dorénavant d'effet que « dans le
cas où elle est autorisée par la loi » (C. civ., art. 896).
(8) C. BRENNER et L. HUDE, « Les libéralités graduelles et résiduelles : du sommeil au réveil ? », JCPN 2016, nº 24, 1196.
(9) M. NICOD et X. BOUCHÉ, « La mise en œuvre des donations résiduelles », JCPN 2016, nº 18, 1146 ; Ch. VERNIÈRES et
G. BONNET, « Réflexions pratiques sur les libéralités graduelles et résiduelles », Defrénois 2017, p. 59 ; M. NICOD,
« Libéralités graduelles et résiduelles : quelques difficultés d'application », JCPN 2008, nº 29, 1249.
(10) CGI, art. 784 C. Sur ces aspects fiscaux, Fr. DOUET, Précis de droit fiscal de la famille,18e
éd., LexisNexis, 2019,
nº 2725 et s.
(11) L'absence (regrettable) de renvoi de l'article 1061 du Code civil (relatif aux libéralités résiduelles) vers l'alinéa 2 de
l'article 1053 (relatif aux libéralités graduelles) est probablement un oubli ; à l'évidence, la libéralité résiduelle ne
peut pas plus qu'une libéralité graduelle stipuler une charge au-delà du 1er
degré (en ce sens, M. NICOD, « Libéralités
graduelles et résiduelles : quelques difficultés d'application », JCPN 2008, nº 29, 1249. Contra G. WICKER,« Le
nouveau droit des libéralités entre évolution, révolution ou contre révolution », Dr. & patr. 2007, p. 74).
(12) Leur nature d'acte juridique unilatéral les éloigne trop à nos yeux de la logique, par définition contractuelle, des
pactes de famille.
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