Systèmes - Connaître la dette publique - 32

Connaître la dette publique
Elles permettaient au roi, soit de distinguer un de ses sujets en
octroyant une augmentation de revenus qui devait consolider son
élévation7
, soit de secourir la noblesse pauvre en l'aidant à tenir
son rang afin d'éviter le déclassement. Dans les deux cas, ces pratiques
inscrivent les pensions dans la panoplie d'instruments dont
disposait le pouvoir royal pour agir sur les mobilités sociales.
Les pensions considérables versées aux princes du sang8
reflétaient
et maintenaient par l'argent la hiérarchie des rangs. Ces versements
permettaient à la fois aux princes les plus fortunés de
France de mener grand train et au roi de maintenir ces derniers
dans une forme de dépendance économique à l'égard du Trésor
royal tout en marquant bien la puissance de distribution de l'État
et - par la même occasion - la puissance du roi elle-même. Nous
ne reviendrons pas ici sur le « système de dépenses » dans lequel
la société de cour enfermait la haute noblesse, comme l'avait théorisé
Norbert Élias. Il faudrait toutefois nuancer cette approche
désormais ancienne en rappelant que les princes et l'aristocratie
faisaient également partie, encore au XVIII
e siècle, des principaux
créanciers de la monarchie9
- à la fois parce que leur rang les obligeait
à venir en aide au roi lorsque celui-ci levait un emprunt, parce
que ce dernier avait toujours fait preuve de générosité à leur égard,
et parce que ces princes disposaient des moyens matériels de souscrire.
Les pensions versées à la noblesse contribuaient à la perpétuation
des liens d'échanges réciproques qui unissaient le roi au
second ordre depuis plusieurs siècles.
Au-delà de la récompense de services effectifs ou du soutien
symbolique à la noblesse, les pensions royales pouvaient également
permettre au roi de créer un lien direct avec d'autres parties du
corps social. Les actions héroïques étaient récompensées, de
même que les inventions ou les innovations. La conversion au catholicisme
garantissait aux protestants repentis le versement d'une
pension de conversion payée avec les revenus tirés des biens confisqués
aux huguenots émigrés. Bref, les pensions de la monarchie
constituaient une incitation à se conformer à la vision royale de la
société idéale : hiérarchisée, vertueuse, catholique.
7. V. les travaux de F. Leroux sur le rôle des libéralités princières dans l'élévation sociale des
maîtresses royales. F. Leroux, Les maîtresses du roi. De Henri IV à Louis XIV, Éd. Champ
Vallon, 2020.
8. Au début du règne de Louis XVI, en 1775, le duc d'Orléans touchait 150 000 livres par an, le
prince de Condé 110 000 livres, le prince de Conti 60 000 livres.
9. M.-L. Legay, La banqueroute de l'État royal. La gestion des finances publiques de Colbert à la
Révolution française, Éd. EHESS, 2011, p. 146-148.
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