Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 156 - L'écriture des lois constitutionnelles de 1875 - 58

La Constitution anachronique : la monarchie chrétienne

étaler aux yeux de l'univers ton impuissance à rien constituer... »44. Le prélat se
place dans la droite ligne des théories papales qui s'étaient développées après la
Révolution française pour contester les transformations sociales et politiques
manifestant l'expansion du libéralisme en Europe (avec par exemple la lettre apostolique Dirae librorum de Léon XII en 1827 ou l'encyclique Mirari vos de
-Grégoire XVI en 1832). En 1864, le pape Pie IX en produisait une synthèse dans
son fameux Syllabus qui accompagnait l'encyclique Quanta Cura, condamnant
ensemble les « erreurs » du modernisme, du libéralisme, du rationalisme, du socialisme ou encore du communisme45. Le chef de l'Église y demandait à son clergé
d'enseigner « que les royaumes reposent sur le fondement de la foi et qu'il n'y a rien
de si mortel, qui nous expose plus à la chute et à tous les dangers, que de croire qu'il
nous suffit du libre arbitre que nous avons reçu en naissant »46. Il est ainsi possible
de constater chez les ultramontains et chez les ultra-légitimistes une vision constitutionnelle commune : la Constitution existe et son origine est transcendante ; le
droit constitutionnel est une chimère car il a une origine purement humaine.
L'Homme pense être libre de faire le droit, ils considèrent qu'il ne l'est qu'en apparence. À titre d'illustration, dans son Introduction à l'étude du droit de 1887, LucienBrun47, l'un des ultra-légitimistes les plus actifs sur les questions constitutionnelles
de l'Assemblée nationale de 1871, développe l'idée qu'une société humaine est
l'expression d'une hiérarchie naturelle, c'est-à-dire d'une hiérarchie donnée par
Dieu aux hommes48. Il y explique que « la liberté n'est rien d'autre que la faculté
garantie à l'homme d'obéir à la loi divine »49. La seule liberté constituante de l'Assemblée est donc sa faculté à renoncer à cette prétention pour se soumettre à la
nature des choses voulue par Dieu, c'est-à-dire à la monarchie traditionnelle. Toutefois, chez les légitimistes « religieux », la royauté qui ne bénéficie plus en 1871 de
la possession de fait pourrait très bien se trouver amendée dans ses principes,
l'-essentiel étant qu'un régime favorable au catholicisme soit installé. Il est ainsi
possible de conclure à un certain relativisme constitutionnel chez certains ultras
légitimistes : le principal est de respecter le droit divin, pas de remettre Chambord
en place, même si la restauration de ce dernier est sans doute la meilleure des alternatives, la plus conforme aux prescriptions du Créateur.
42. Il ne faudrait en effet pas voir dans l'anathème jeté sur la prétention des
hommes à constituer juridiquement la société politique en utilisant leur seule
44. Cité par GADILLE Jacques, La pensée et l'action politiques des évêques français au début de
la IIIe République, 1870/1883, 2 tomes, Thèse, Lyon, Bibliothèque des recherches historiques et
littéraires, Hachette, 1967, I. p. 304.
45. Selon Remond, le Syllabus « présente le meilleur exposé [du] système de pensée » des
légitimistes du début des années 1870 (REMOND René, Les Droites en France, Paris, Aubier, 1982
[1re éd. 1954], p. 128). Le légitimiste Keller qui siège à l'Assemblée de 1871 publie par exemple un
ouvrage quelques années plus tôt pour expliquer et défendre la position du souverain pontife
(KELLER Émile, L'encyclique du 28 décembre 1864 et les principes de 1789 ou l'Église, l'État et la
liberté, 2e éd., Paris, Librairie Poussielgue et fils, 1866).
46. Pie IX, Quanta cura, lettre encyclique du 8 décembre 1864 (in ibid. p. 404).
47. Élu représentant de l'Ain le 8 février 1871, Lucien Brun est docteur en droit, avocat et ancien
bâtonnier du barreau de Lyon. Membre des Chevau-légers, il est élu par l'Assemblée pour siéger dans
la première commission des Trente. Il devient professeur à l'Université catholique de Lyon en 1875 et
est nommé sénateur inamovible en 1877.
48. Voir LUCIEN BRUN Emmanuel, Introduction à l'étude du droit, 2e éd., Paris, Librairie
Victor Lecoffre, 1887, p. 263-298.
49. Ibid. p. 274-275. De Maistre formulait une idée semblable au début du xixe siècle : « Parce
que l'homme agit, il croit agir seul, et parce qu'il a conscience de sa liberté, il oublie sa dépendance »
(Essai.., op. cit., X. p. 219).

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