Systèmes - Les autoroutes, une affaire d'État - 34

Les autoroutes, une affaire d'État
gaz, au chemin de fer, aux canaux et aux routes qu'il assimile à des
« monopoles pratiques »17
.
Il s'agit en général d'activités dont les coûts d'investissement (les
coûts fixes, non récupérables) sont si élevés qu'il ne serait pas économiquement
viable de les multiplier par l'introduction de la concurrence.
Une fois un réseau construit, on ne peut donc envisager la
construction d'un réseau concurrentiel. Le caractère « incontestable
» du monopole est dû au fait que le coût de la ressource nécessaire
à la production est tellement élevé qu'il ne peut être amorti
que si une seule entreprise détient la totalité du marché.
Dans son mémoire L'État et les chemins de fer (1875), Léon Walras
suggère que l'État intervienne pour organiser le marché dans ce
secteur à travers une forme de réglementation. En effet, sa situation
de monopole donne à l'entreprise un « pouvoir de marché » : seule à
produire le bien ou le service, elle peut abuser de sa situation en
fixant des prix plus élevés et en restreignant la quantité offerte.
Elle profite ainsi de sa « rente de monopole ». Lorsque le bien produit
par le monopole est un bien d'intérêt général, l'État se doit
d'intervenir pour limiter ou supprimer cette rente.
On peut penser que les autoroutes répondent en grande partie à
la définition proposée par John Stuart Mill. En effet, les coûts de
construction et de mise en service des autoroutes sont tels qu'il
n'est pas envisageable de les multiplier. Le Service d'études sur
les transports, les routes et leurs aménagements a estimé que la
mise en service d'un km d'autoroute coûtait, en moyenne, 6 millions
(M) d'euros18
. En montagne, ce chiffre peut dépasser 40M d'euros,
du fait de la nécessité de construire des ouvrages d'art (tunnels, viaducs,
etc.). Dans ces conditions, la concurrence est impossible et un
réseau d'autoroutes ne peut être régulé par le marché. Comme l'affirmaient
Walras et plus tard Richard Musgrave, c'est l'État qui doit
organiser celui-ci. C'est donc tout d'abord l'État ou les entreprises
contrôlées par lui qui ont construit les premiers tronçons d'autoroutes
en France. C'est aussi sous son impulsion et sous sa tutelle que
les premiers concessionnaires ont eu pour mission de développer
le réseau autoroutier. On pourrait dire que plusieurs petits monopoles
se sont constitués au fil du temps à travers le territoire avec
17. V. la synthèse de G. NUMA, « Note sur le monopole naturel et le monopole pratique chez
J. S. Mill », Revue économique, vol. 61, 2010/2, p. 341.
18. Les aménagements des autoroutes sont également très coûteux. Par exemple, le projet
des travaux d'élargissement de l'A61 sur 34 km à 2x3 voies, devant être mis en service fin
2022, est estimé à 200 M€.
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