Revue Droit & Littérature N°5-2021 - 146

Le thème
« Mon père avait au ministère un ami, un certain A. J. Moreau, lequel pour se distinguer des autres Moreau, avait soin de
toujours faire précéder son nom de ces deux initiales, de sorte qu'on l'appelait, pour abréger, A. J. »113
.
Pour éviter l'homonymie, le plus simple est effectivement, comme cela est proposé, d'utiliser
un surnom. Car le droit ne se préoccupe guère des homonymes. Par exemple, il n'impose pas
qu'au moment de la déclaration de naissance, soient attribués plusieurs prénoms à un individu,
ce qui limiterait de facto les risques. Mais observons que si plusieurs prénoms sont donnés, leur
bénéficiaire peut user du prénom qui lui plaît, dans n'importe quel ordre, ce qui peut éventuellement
écarter tout danger de confusion entre deux personnes si l'un d'eux est un prénom rare114
,
possibilité qui est renforcée depuis que la loi du 8 janvier 1993 a déclaré que le choix des prénoms
est libre115
.
Il n'y a pas que des inconvénients à avoir un homonyme. C'est ce que nous apprend le narrateur
: ce peut être le moyen de mieux cacher sa vie privée. Qu'on en juge... Le baron de Charlus
a une très mauvaise réputation dans les milieux bourgeois et artistique car on le confond parfois
avec un homonyme, Leblois de Charlus, homme peu recommandable.
« De même, si dans le monde des peintres, des comédiens, M. de Charlus avait si mauvaise réputation, cela tenait à ce qu'on le
confondait avec un comte Leblois de Charlus qui n'avait même pas la moindre parenté avec lui, ou extrêmement lointaine, et qui
avait été arrêté, peut-être par erreur, dans une descente de police restée fameuse. En somme, toutes les histoires qu'on racontait
sur M. de Charlus s'appliquaient au faux. Beaucoup de professionnels juraient avoir eu des relations avec M. de Charlus et
étaient de bonne foi, croyant que le faux Charlus était le vrai, et le faux peut-être favorisant, moitié par ostentation de noblesse,
moitié par dissimulation de vice, une confusion qui, pour le vrai (le baron que nous connaissons), fut longtemps préjudiciable, et
ensuite, quand il eut glissé sur sa pente, devint commode, car à lui aussi elle permit de dire : " Ce n'est pas moi " .116
».
Le procédé est adroit, un peu limite... Mais il préserve la personnalité.
Tant d'autres points auraient pu être développés pour affirmer la richesse des perceptions
proustiennes du nom pour les juristes. L'autonomie de la personne pourrait sûrement être accentuée
par le rattachement du nom à une théorie de la personnalité. Le droit pourrait mieux prendre
en compte ce que révèle Marcel Proust, à savoir un décalage entre la vérité des personnes et l'état
civil, ce qui impliquerait d'admettre encore plus l'évolution de l'identité au fur et à mesure de
l'écoulement du temps. L'identité choisie et évolutive n'est-elle pas dans l'air du temps...
D'autres poursuivront nous l'espérons ce travail de résonance, qui conduit à faire abstraction
de soi pour s'éveiller aux dimensions de l'Autre.
« J'ai souvent cherché depuis à me rappeler comment avait résonné pour moi sur la plage ce nom de Simonet, encore incertain
alors dans sa forme que j'avais mal distinguée, et aussi quant à sa signification, à la désignation par lui de telle personne ou
peut-être de telle autre ; en somme empreint de ce vague et de cette nouveauté si émouvants pour nous dans la suite, quand ce
113. M. Proust, Le Côté de Guermantes, Gallimard, (1920), éd. Folio 2019, p. 30.
114. Le déclarant indique les prénoms choisis par les parents : « Les prénoms de l'enfant sont choisis par les père et mère (...). Tout
prénom inscrit dans l'acte de naissance peut être choisi comme prénom usuel » (C. civ., art. 57).
115. La loi du 11 Germinal an XI limitait le choix des prénoms. Ils ne pouvaient être choisis que parmi les noms en usage dans les
différents calendriers et ceux des personnages connus de l'histoire ancienne (ex. : Clovis, Napoléon, Hugo...). La jurisprudence européenne
n'avait rien trouvé à redire (ainsi, elle n'avait pas réagi au refus d'inscription du prénom « Fleur- Marie »).
116. M. Proust, Le Côté de Guermantes, op. cit., p. 295.
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